Juste la fin du monde
Jean-Luc Lagarce
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Juste la fin du monde

Jean-Luc Lagarce, Hugo Favier

Le jeune metteur en scène alsacien Hugo Favier est passionné par cette pièce qui l’accompagne depuis de nombreuses années. Avec une équipe remarquable, il se saisit de la langue de Jean-Luc Lagarce « comme d’un outil existentiel, une grenade poétique. »

Après des années d’absence, Louis, un jeune auteur, revient. Il veut avertir de sa mort imminente sa mère, sa sœur, son frère et sa belle-sœur : « ceux-là » qui habitent toujours la petite ville de son enfance. Mais on devient parfois un étranger pour les siens, et les retrouvailles tâtonnent avec brutalité. Volubiles, les personnages tentent difficilement mais résolument de s’exprimer un amour immense, parasités par l’indicible d’une fracture sociale, géographique et sexuelle. Jean-Luc Lagarce est mort du sida à trente-huit ans.

Juste la fin du monde, tout à la fois pudique et politique, aborde la maladie en négatif, sans jamais la nommer. Cette création, marquée par le parcours, les rencontres artistiques et la familiarité d’Hugo Favier avec le théâtre belge, nous convie à une rencontre charnelle avec l’écriture théâtrale. Entre mutisme et lyrisme décomplexé, nous assistons à une tentative bouleversante et illusoire, la quête d’une emprise sur le réel avec les mots.

Note d'intention

Il y a peu de leçons que l’on retienne aussi effacement que celle que nous inculque notre premier contact à une assignation. Il suffit d’un seul orteil du mauvais côté de la ligne très blanche de l’altérité ou de l’indéfini. En ce qui me concerne, j’ai été « pédé » bien avant d’être pédé, parce que mon corps ne racontait pas la bonne histoire, que je ne savais pas qu’il fallait le taire. Quelques mots donc, une remarque cinglante, un qualificatif ou une question qui désarçonne, et paf ! tu appartiens à la marge, bien avant de t’appartenir à toi-même. Dans ce phénomène, c’est l’attrait pour les cases qui m’intéresse. Je voudrais interroger ce paf!, ce besoin rudimentaire et brutal de réduire ce qui est complexe à une seule réalité, croire ainsi mieux l’appréhender, alors que la vie est ailleurs, résolument imprévisible, contradictoire et changeante. Les mots jouent un rôle déterminant : les mots sont des outils, des outils ambivalents qui peuvent tour à tour dire l’amour ou stigmatiser les êtres. Quand j’étais enfant dans mon Alsace natale et protestante, on me disait : Tu ferais mieux de tourner sept fois ta langue dans ta bouche avant de parler. On sait que le langage agit, qu’il est dangereusement performatif.

Dans Juste la fin du monde, la langue tourne sept fois sur elle-même mais pense à voix haute ; car chez Jean-Luc Lagarce, dès qu’on prend la parole, on agit, on existe. Or après douze années d’absence, Louis revient dans sa famille pour lui annoncer sa mort prochaine et irrémédiable. Mais il se tait, et son silence me bouleverse. Si Louis repart « sans avoir rien dit de ce qui lui tenait à cœur », c’est qu’il trouve quelque chose d’inattendu face à lui, quelque chose qu’il choisit de préserver de la crudité de son annonce. Ne disposant d’autres ressources que la parole pour rentrer en contact, les personnages de Juste la fin du monde parlent énormément. Leurs caractères pluriels, leurs vulnérabilités, leurs dissonances s’expriment en creux de ce trop-plein de mots. Le retour de Louis devient pour cette famille une ultime occasion de chercher dans le langage, au-delà des assignations, un autre espace que les mots pour être tendres. C’est un chant d’amour. Cette pièce est également pour moi une célébration de la contradiction, de la complexité indissociable de l’humain. Rien n’y est jamais binaire, comme dans la vie : nous sommes tous des excentrés, résolument irréductibles à une norme. J’y vois l’opportunité de définir une écriture queer qui me soit propre, une dramaturgie dynamitant les cases, célébrant la grâce d’un lyrisme décomplexé des voix et des corps. C’est un espace où parler et se taire sont plus que jamais une manière d’être au monde, un champ politique de réappropriation de la parole. Avec Juste la fin du monde, j’invite le public à une rencontre charnelle avec l’écriture théâtrale, une plongée dans cette entreprise bouleversante et illusoire qu’est la quête d’une emprise sur le réel avec les mots. Revenir à cette première société, la famille, cette faune ambivalente que nous connaissons tous, et en tirer un drame à la fois drôle et émouvant pour raconter la difficulté d’exprimer une émotion.

Critiques

  • La Libre
    par Laurence Bertels

    "Juste la fin du monde", le texte culte et magnétique de Jean-Luc Lagarce

    Un huis clos familial bouleversant dans une première mise en scène audacieuse de Hugo Favier.

    Recommandation :
    ☆☆☆
  • Rtbf
    par Louis Thiébaut

    Le récit bouleversant d’une fin annoncée au théâtre le Rideau

    Une pièce gorgée d’amour et de haine où chacun se reconnaîtra dans la famille torturée créée par Lagarce. Un noyau qui tente désespérément de conserver une quelconque emprise sur le réel grâce aux mots.

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