J'étais dans ma maison et j'attendais que la pluie vienne

Préface d’Alexandra Moreira da Silva
J'étais dans ma maison et j'attendais que la pluie vienne
Image du spectacle

J'étais dans ma maison et j'attendais que la pluie vienne

Jean-Luc Lagarce, Frédéric De Goldfiem

Plus tôt déjà, bien plus jeune et comme j’avais dans l’idée d’écrire, je m’étais fait la réflexion que si j’avais à parler de ma mère, je parlerais de l’attente. De l’attente et de la culpabilité.
Je n’écris pas, je mets en scène. Ce qui pour moi est de l’écriture avec des écritures.
Et voilà que l’on me fait découvrir ce texte, un de ces textes que l’on rêverait d’avoir écrit tant il vous touche au plus intime, dans une langue, celle de Jean-Luc Lagarce, qui est à mon avis d’une beauté rare dans le théâtre contemporain. Un art de la nuance, de la pudeur et du silence.
On pense à Duras bien sûr, j’entends Barbara comme une autre référence, et je vois ces cinq femmes comme autant de portraits de celle-là, l’immuable, pleine de désir et de contradictions, figée, toujours, sur le seuil de sa maison, face à ce grand vide qui nous touche tous et qui fait les grandes tragédies.

Frédéric de Goldfiem

Note d’intention de Frédéric de Goldfiem

Le lieu
Cinq femmes dans une maison veillent le corps de celui-là, le fils, le frère qui est revenu d’une de ses guerres. Dort-il ?
Cinq femmes dans une maison, vers la fin de l’été. J’étais dans ma maison et j’attendais que la pluie vienne.
De l’orage qui pourrait éclater comme une délivrance. De quelque chose avec lequel on boxe. Épaisseur et moiteur. Dans la chaleur et dans le soir qui tombe, on veille. Des robes de coton qui, sur les peaux, collent.
De la matière qui raconte comme on se traîne, cette pavane lente dont parle l’aînée. De l’attente encore. Pour qui ? Une délivrance ?
Elles sont attentives aux bruits, aux bruissements des rideaux, aux pals des ventilateurs, aux respirations régulières de celui-là, le jeune frère, le fils, qui gît silencieusement dans sa chambre. Meurt-il ?
Cinq femmes. Toutes ont leur secret.

 

La plus jeune
Au sol, dans son coin, ce recoin, toujours été gamine, jamais on n’a fait attention à elle. Elle fouille l’espace à la recherche d’une trace. La trace. Sur la piste de. À la recherche de. Quoi ? Son identité ? C’est la plus jeune. Celle qui pourrait peut-être partir. Quitter cette maison où la mort rôde. Prendre la route, comme le frère, et s’inscrire, et inscrire. Quelque chose du génie adolescent ? Rimbaud et sa sauvagerie ? Électre et sa vérité ? Donnerait un coup de pied dans cette maison de femmes et secouerait les poussières de ces pauvres folles dans l’attente ?

 

La seconde
Comme toutes. Son secret. La robe rouge qu’elle mettait quand le frère l’emmenait au bal. A toujours eu des goûts de vendeuse. Quelque chose d’une romance dans sa tête, une ritournelle de bal qui n’aurait pas trouvé son amant de Saint-Jean. Pourrait faire une histoire. L’éternelle amoureuse. Le temps s’est arrêté. Sa robe est relevée et elle attend. Son réveil ? Comme on attend. Mal au ventre. Toujours eu mal au ventre. Sa délivrance, ce pourrait être quelque chose comme quelqu’un qui arrive, et qui vous emmène, loin, et qui fait de vous, comme les princes, une femme.
Comme on vous enlève, une femme.

 

L’aînée
La troisième sœur. Comme chez Tchekhov. Au travail. L’institutrice. Pas mariée. Comme les deux autres. À attendre. Quoi ? Toujours le secret. A eu des hommes, souvent, dans des hôtels, entre deux trains. Des hommes en partance. Qui ? Son secret ? Le bel indifférent. Un amour ? N’est-il déjà pas trop tard, pour celle-là, qui, passé la trentaine ne s’est pas inscrite ailleurs ? L’aînée, comme l’aînée dans une famille, en l’absence des hommes.

 

La mère
Le chef de famille. A perdu ses hommes. Au moins jusqu’au retour de celui-là, le fils, son fils, l’unique fils.
La matrice bien sûr ! Elle qui est comme une statue et ne pleure jamais, elle qui distribue les silences comme des gifles. Son secret... Comme un moulin traversé par le vent. Pour elle. Ça lui suffirait, qu’elles se taisent et la laissent avec celui-là qui est revenu. Seule.
Pour ne plus le quitter ? Un rêve. De mère. Récupérer celui-là qui a cru, ailleurs, construire, se construire. Le garder là, pour l’éternité à lui faire ses longs et beaux reproches.

 

La plus vieille
Comme on attend la mort ! Comme une délivrance. L’on imagine — on revêt ses plus beaux atours et, en souriant peut-être, on suspend son souffle à celui qui est revenu, qui va mourir peut-être ou qui est déjà mort — sa vision.
Comme on a attendu. Son secret. Comme quelque chose d’une boucle, comme une roue qui tourne et, revenant à son point de départ, annonce la fin qui est proche. Elle qui danse comme les autres.

 

La scénographie
Pas de décor. Plutôt les matières ; la lumière. Peu d’idée, ou une seule simple.
Peut-être seulement un rideau.

  • Théâtre National de Nice | Nice
    21 mai > 05 juin 2004