

Music-hall
Une chanteuse et ses deux boys se retrouvent un soir, sans doute comme tous les soirs, dans un lieu un peu minable d’une petite ville de province. En attendant un hypothétique public, dans une rêverie douce-amère, entre illusions et désillusions, ils ressassent et se souviennent de leur gloire éteinte, de leurs tournées héroïques, de leur vie perdue... Héros solitaires et amoureux dans un monde goguenard qui ne les reconnaît plus.
Music-hall est une grotesque comédie : le récit drôle d’un échec, le drôle de récit de ce qu’on voulut être et qu’on ne fut pas, ou qu’on n’est plus, le récit de ce qu’on voit nous échapper. La vie est plus longue que nos rêves, c’est sûr ! Lagarce regarde, avec une infinie délicatesse et une distance amusée, sa petite troupe itinérante et inutile. Mais ne faut-il pas, aujourd’hui plus que jamais, célébrer toujours la beauté de l’inutile, du dérisoire, du désuet ? Oh là là, au point où nous en sommes !
Ladies and gentlemen, Welcome to the Music Hall’s Comedy !
L’orchestre, dit-on, jouait encore alors que le paquebot s’enfonçait paisiblement mais inexorablement dans les flots noirs.
Welcome in the Music Hall's Comedy !
Par Sébastien Bournac
Music-Hall de Jean-Luc Lagarce est un conte, parce que c’est une histoire de princesse, ou plutôt d’une Fille qui croit qu’elle est princesse. Elle est là, elle nous regarde de haut du haut de son tabouret, tendrement, mais sans complaisance, raconte sa vie, ses souvenirs de tournées minables à travers quelques anecdotes – « désopilantes », chantonne, plaisante avec ses deux acolytes … Trois petits tours et s’en va. Et l’histoire ? Et le spectacle ? Peut-être était-il là, devant nous et nous ne l’avons même pas vu passer. Nous n’avons pas été capales de le reconnaître. Spectacle dans le non spectacle.
L’orchestre, dit-on, jouait encore alors que le bateau s’enfonçait paisiblement mais inexorablement dans les flots.
Music-Hall de Jean-Luc Lagarce est une oeuvre profondément crépusculaire. Elle représente une chanteuse de music-hall au moment de la désillusion et de la déchéance. Pasolini fait dire à un de ses personnages, à la fin de Pylade : « La vie est plus longue que nos rêves, c’est sûr ». Et ce que met en scène Lagarce, c’est cette vie d’après les rêves et les espoirs, et peut être au-delà de la vie même. Le théâtre est peuplé de fantôme, de morts-vivants … Quand nos illusions ont disparu, que reste-t-il de nos idéaux, de nos utopies ? On regarde, on imagine, on rêve ce que sera sa vie, on croit la voir devant soi, et peu à peu, la vivant, peut-être morts déjà, on se retourne lentement sur soi-même, on observe le chemin qui nous mena là où nous en sommes, aujourd’hui, du pays lointain d’où nous sommes partis.
Music-Hall est certes le récit drôle d’un échec, le drôle de récit de ce qu’on voulut être et qu’on ne fut pas, ou qu’on n’est plus, le récit de ce qu’on vit nous échapper. Mais étrangement, tout cela se passe bien loin de la douleur : ça continue avec le sourire. Et on peut même, avec Lagarce, rire de cet échec. On rallume ici les feux de la veille. Je lis Music-Hall comme une grotesque comédié. Une farce contemporaine pleine de nostalgie, oscillant sans cesse entre la clownerie et le pathos. La fin de partie de trois pantins en attendant le public.
C’est dans l’entre-deux fragile du rêve et du quotidien le plus trivial, de l’illusion et de la réalité que nous voulons nous approprier le music-hall de Jean-Luc Lagarce.
Nourris de l’onirisme et des images fantasmatiques et fantastiques des cinémas de Fellini, de David Lynch ou encore de Stanley Kubrick …, nous « revisiterons » comme un rêve le passé révolu du music-hall, avec ses tableaux éblouissants (rituels où de grandes prêtresses, dans un ruissellement de fontaines lumineuses, de strass, de paillettes et de plumes d’autruches, se font escorter par une troupe de girls et de boys) auquel Lagarce rend, dans son texte à l’épure flamboyante, un hommage aussi fasciné qu’amusé.
Comme un clin d’oeil brillant, dérisoire et décalé pour mieux faire sentir le vide d’un présent déchu, la misère d’une histoire et d’une gloire qui ne font plus rêver.
Après la mythologie, nous sommes en effet entrés dans l’ère de la nostalgie. Et pour rendre compte de ce réalisme désenchanté, ce sont plutôt les anti-héros de Fassbinder se débattant et essayant de survivre dans une société mesquine et cruelle, goguenarde, ou encore le souvenir des galères de théâtre de Pauline Carton qui stimuleront notre imaginaire.
Comme Lagarce, rêvons à notre tour le music-hall. Réinventons-en avec nos moyens, un peu kitsch, un peu bringuebalants, un peu dérisoires, l’esprit et la poésie. Comme un jeu !
L’envers du music-hall ! Car plus que jamais pour ce Music-Hall, nous voulons que ce théâtre soit un espace ambigu de jeu, de transformations, de déguisements, de divertissements, des métamorphoses tantôt sublimes, tantôt prosaïques, pour conjurer la peur et le néant qui menacent.
Les personnages de Lagarce sont toujours un peu comme des enfants perdus ; ils se tiennent la main pour ne pas être seuls ; ils ont si peur du monde qu’ils ne cessent d’en parler ; ils sont pour l’éternité entre deux portes, tentant désespérément de rire avec désinvolture pour ne pas hurler de terreur, tentant désespérément d’empêcher la vie de s’enfuir, de la retenir toujours, de conserver sa trace, d’apprivoiser le présent : être là, juste, à l’instant et avoir moins peur.
Source : Cie Tabula-rasa
Archives des représentations
-
Scène Nationale d'Albi
|
Albi
28 janv. > 29 janv. 2008
-
ThéâtredelaCité – CDN Toulouse Occitanie
|
Toulouse
04 oct. > 11 oct. 2007