
Le carnavalesque liddellien
Armande Salimov
Un des costumes qui sied le mieux à Angélica Liddell est sans doute celui du bouffon, ce fou professionnel chargé de créer du désordre en attaquant les conventions sociales. Cette posture est notamment revendiquée dans Perro muerto en tintorería : los fuertes (« Chien mort dans un pressing : les forts », 2007), un texte dans lequel l’artiste est décrit comme un chien affamé dépendant de ses maîtres, condamné à osciller entre exclusion et humiliation.
Angelica Liddell a amorcé sa trajectoire artistique il y a plus de trente ans. Dès ses premières créations, elle a incarné et mis en scène ses propres textes et s’est imposée, au cours des années 2000, comme une figure importante du paysage littéraire espagnol. Sa renommée scénique a été plus timide. En 2010, alors qu’elle est invitée au Festival d’Avignon, elle est acclamée pour La Casa de la fuerza (« La Maison de la force », 2009) et El Año de Ricardo (« L’Année de Richard », 2005), et une nouvelle voie s’ouvre pour l’artiste.
Son parcours a débuté sur le mode fictionnel, mis à distance à partir de 2002, date de publication d’un article intitulé « Llaga de nueve agujeros » (« Une plaie à neuf ouvertures » — d’après une formule de Cioran ), dans lequel elle livre une réflexion tranchante sur la pratique de l’écriture, décrite comme une combinaison de neuf afflictions. Le mot devient suspect et la fiction est reléguée au second plan : il s’agit désormais d’inscrire son œuvre dans le réel et dans l’intime. Progressivement, et définitivement à partir de 2008, le dévoilement devient la règle d’or du théâtre liddellien.
Mais la transition de la fiction à l’intime n’annihile pas le travestissement ni le jeu. Au fil des ans, le récit de soi élabore ainsi un véritable personnage. Si l’autriceactrice aime à se présenter sous les traits d’une héroïne tragique , le grand malheur dont elle dit être la victime est bien souvent désamorcé par l’excès de la forme et un effet grotesque surgit de l’hyperbolisation transversale à son écriture.
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Source : Armande Salimov, « Le carnavalesque liddellien ». Théâtre/Public, 2022/2 N°244, 2022. p.47-55.