Nous, les héros (sans le père)

Nous, les héros (sans le père)
Image du spectacle

Nous, les héros (version sans le père)

Jean-Luc Lagarce, Guillaume Vincent

Dans Nous, les héros, Lagarce décrit une troupe en situation de crise. Tout est toujours sur le point d’exploser. La guerre est imminente, les affaires de la troupe marchent mal. Comment dans ce contexte continuer à faire du théâtre et surtout comment continuer d’en vivre ?

Note d’intention par Guillaume Vincent

On essaie comme on peut de survivre, ou mieux de donner l’illusion d’exister.

Je crois que Nous, les héros sera un spectacle dédié aux acteurs. À tous les acteurs. J’aimerais que ceux qui sont sur le plateau représentent tous les autres. C’est pour cette raison que je rêve d’une distribution aussi hétérogène que possible. Prendre le risque de réunir des gens dont on ne sait pas à l’avance ce qu’ils ont en commun, dont on n’est pas très sûr qu’ils parlent déjà la même langue. Faire se frotter des théâtralités violemment différentes, parfois même opposées, sans savoir forcément quel spectacle il en naîtra. Sans idée préconçue du résultat. Une expérience en somme. Avec des acteurs que j’aime, ou qui me fascinent carrément. Au fond, ce n’est pas une troupe de théâtre que je constitue ici, mais quelque chose comme une famille. Personne ne s’est vraiment choisi. Le seul point commun entre nous serait sans doute le “ désir de faire du théâtre ”, et en l’occurrence, le texte de Lagarce. Avec les questions qu’il charrie, à commencer par celle-ci justement : pourquoi fait-on du théâtre ? Comment ? Et puis pourquoi on continue ? Où en est-on avec notre désir ? Comment ce désir de théâtre s’accommode-t-il avec la nécessité d’en vivre ? Et ces questions qui travaillent les personnages de cette troupe un peu usée, fatiguée, je voudrais que les acteurs se les posent encore sur scène.
Aussi j’aimerais que chacun puisse prendre la parole en son nom. Peut-être que les intermèdes musicaux suggérés par Lagarce pourraient servir à ça. Délaisser un moment le texte et aménager des espaces d’improvisation pour entendre des gens, des acteurs, parler d’eux à la première personne. Essayer de ne pas prendre la pièce comme prétexte, mais mettre en lumière la singularité de chacun pour éclairer le texte d’autant de points de vue différents.
Et pour que la mise en scène, ou disons le cadre esthétique, ne vienne pas broyer l’identité de ces dix acteurs, j’imagine monter la pièce sans décor, avec simplement les accessoires nécessaires, sans costume à savoir en habits civils – et puisqu’ils sortent de scène tout de même, ils porteront le costume du dernier spectacle dans lequel ils auront joué.

Paroles d’acteurs

Acteurs…

 

« Et chanter dans le noir, et marcher à pas lents, revenir, chuchoter des histoires drôles et de temps à autre, pour se maintenir en forme, pousser quelques hurlements salutaires. Réveiller les endormis. Éclater de rire pour les mêmes âneries que la dernière fois, les blagues, nous en rions parce que justement, nous les connaissons déjà. Entonner notre refrain – nous sommes dans les rues désertes, après le spectacle, on cherche l’hôtel – et parfois encore, épuisés ou juste mélancoliques, abandonnés et un peu ivres, aller toute la troupe en silence, sans se tenir la main, « nous, les héros ». Nous serons sereins, cette nuit-là encore. » Nous serons sereins, cette nuit-là encore, Jean-Luc Lagarce,
In Du luxe et de l’impuissance et autres textes, Les Solitaires Intempestifs", coédition Théâtre Granit, Belfort, 1997, Besançon, p.24

 

Je suis très lente pour… pour oser… affirmer mon propre désir quoi. Alors je pense que ce n’est pas innocent que j’aie choisi ce métier-là aussi parce que finalement tu n’affirmes pas ton désir, tu te laisses désirer. Enfin tu essayes d’être désirée en tout cas. Bon tu t’prends des claques dans la gueule, ça…

 

ben moi j’suis arrivé avec mes rêves à Paris, ‘fin mes rêves ouais mes ouais j’étais déterminé, j’voulais faire ce métier, j’voulais être comédien, j’voulais être une vedette aussi tu vois, j’avais mes rêves de voilà, ouais c’est vraiment le cliché du p’tit gars de province qui dit j’vais monter à Paris conquérir Paris ? c’est vraiment ça quoi. Et donc je pars… J’ai 16 ans quand j’pars, c’est l’année d’mes 17 ans je, je, je, je j’arrive dans un, j’m’inscris dans un lycée j’commence avec un handicap c’est le regard des autres. Avant même d’avoir commencé je, je, je j’ai déjà du mal à être, à supporter le regard des gens… et paradoxalement j’vais vers un truc ou on va m’regarder encore p…’fin ou le spectacle ‘fin pour être vu quoi.

 

-J’sais très bien qu’on m’donnera jamais le rôle d’une jeune première, c’est pas mon rêve, ‘core que j’trouverais vachement plus in-, ‘fin p’t’être intéressant, ‘fin tu vois, mais… mais voilà j’ferai jamais Juliette dans Roméo et Juliette, ‘fin tu vois c’que j’veux dire.

 

-La question du jeu et du personnage, ça obsède tous les acteurs mais…, moi j’adore composer un personnage mais je veux m’en affranchir de plus en plus, en même temps parce que, c’est ‘fin il…c’est f…’fin j’ai envie de chercher les endroits où je peux travailler où je peux aller à une certaine distillation de ça et pas arriver avec mon gros sceau de composition…. PLAF. En même temps c’est très bien aussi.

 

-pour ça le cinéma est intéressant, j’trouve c’est c’est c’est c’est… c’est d’renverser le truc et te dire que eh ben bon à partir du moment où je suis choisi je suis le personnage, ça c’est marrant aussi.

 

-j’peux pas m’contenter simplement d’être acteur…ça m’est insup… l’idée de me dire je sors de scène « l’ai-je bien fait, » m’est insupportable, ça m’est insupportable cette question-là m’est insupportable, ‘fin c’est déjà pas mal de se dire « l’ai-je bien fait » et de pouvoir se répondre oui mais on s’en fout

 

-quand j’signe Hélène et les garçons j’ai pas de problèmes avec ça et c’est après les gens… eux y z’ont un problème avec ça « oh j’regarde pas ça tu comprends j’ai honte et tout » mais c’est ton problème c’est pas le mien et moi je veux pas que ça devienne mon problème

 

-le théâtre subventionné on t’fait croire quand même que, qu’y a une équipe, que, que tout ça. Et en même temps, c’est le metteur en scène qui récolte les fruits si tu veux. Et moi, combien de spectacles j’ai faits où j’avais même pas mon nom enfin tu vois, maintenant j’suis hyper sensible à ça, hyper sensible… parce que je pense que…, j’ai cru à cette utopie-là, et moi, je peux le dire, j’ai beaucoup d’estime de la part des gens si tu veux dans le milieu, mais je n’ai pas accédé… à une reconn- enfin, à un pouvoir voilà, tu comprends ce que je veux dire ? L’estime c’est pas le pouvoir quoi. Comme tu parles de reconnaissance, il faut avoir cette reconnaissance médiatique quand même, qui te donne le pouvoir. Et ça dans l’théâtre subventionné…

 

-ça a changé, parce que j’ai fait connaissance d’une manière d’une manière de faire les choses sans jouer.

 

-Et pour moi, comme dit Madame Tchissik, « gagner mon indépendance… reprendre tout à zéro… », c’est la question… je me demande : attends tu es folle parce que tu as 41 ans, déjà, c’est trop tard… tu ne peux pas reprendre tout à zéro, c’est pas possible. Tu as un fils, tu as ta vie…, en Allemagne, tu as… C’est la question d’argent, je sais pas quand je vais être, quand je serai vieille, à la retraite… il y a un peu de temps jusque là mais malgré tout…. C’est la moitié de la vie, et je dois décider quelque chose, pour moi, et tout est très… retourne, dans la tête, tu comprends… mais ça me plaît beaucoup aussi…

 

-moi je trouve que la question la plus intéressante ce serait pour…comment tu continues à faire ce métier, pourquoi tu continues plutôt que pourquoi t’as commencé. Au jour d’aujourd’hui ce serait la question la plus intéressante. J’sais pas, j’ai envie, j’ai envie – mais je sais que c’est possible que ça s’arrête.

 

- Je me souviens qu’après Weimar, j’ai travaillé au théâtre de Hanovre, et pour moi…, c’était la première fois que je travaillais, à l’Ouest, et c’était vraiment pour moi très extrême, très très bizarre, on est toujours comme une famille comme ça, c’était un peu – mm- pas mal… Au début, peut-être c’est un autre temps, je sais pas, je voulais faire du théâtre parce que je voudrais… changer quelque chose…, vraiment, bouger. Avec cette première troupe, c’était une grande grande impression, pour moi, de provoquer des discussions avec les spectateurs. Le soir, après les représentations, il y avait beaucoup de discussions, et on a discuté très vrai, très ouvert, et très extrêmement, aussi. Mais franchement c’était un autre temps ; c’était…, on était devant le mur et c’était une enclave un peu. Mais malgré tout, je pensais, on peut bouger les spectateurs les gens avec une histoire sur le plateau, parce que c’est très très direct c’est très…

 

-j’ai eu p’tits rôles dans les séries télés, j’faisais que des séries des sitcoms ou des courts métrages voilà mais à cette époque j’passe que ce soit un casting pour Patrice Chéreau ou un sitcom d’AB Production pour moi c’est c’est c’est strictement la même chose, j’ai pas… j’ai pas plus de de de comment dire un regard différent sur l’un sur l’autre pour moi c’est c’est c’est c’est la chose qui m’importe à ce moment-là moi j’veux m’retrouver sur un plateau, quel qu’il soit, et du matin au soir, et avec un, c’est bête à dire, et avec un cachet dans cette journée-là pour payer mon loyer pour payer le petit studio que j’ai à cette époque et ce qui est vachement important vis à vis de ma famille, le truc que je leur dise voilà je suis à Paris j’suis monté, j’ai tout plaqué mais c’est pour gagner ma vie aussi. Ce n’est pas que pour …un rêve ou un truc qui va pas marcher c’est… et tout de suit y faut qu’j’leur montre que j’m’en sors quoi… dans la vie et voilà.

 

-Voilà, on se retrouvait entre nous et pis surtout on s’était choisis et pas choisis en même temps, c’est-à-dire qu’on était quand même les gens qui s’entendaient le mieux au sein d’une promotion mais on n’était quand même pas des supers potes et oui en fait y a un peu des tempéraments incompatibles en fait. Pour faire la fête, faire des bouffes ensemble c’était nickel mais pour travailler ensemble y avait plein de trucs qui clochaient, plein de trucs qui passaient pas, plein de non-dits, plein de… on s’est fait un an de p’tits bouts de résidence les uns à côtés des autres. On n’arrivait pas à tomber d’accord. Par exemple on n’a jamais réussi à tomber d’accord sur qu’est-ce qu’on voulait dire avec ce spectacle.

 

- En gros je me disais si j’accepte un truc prestigieux comme ça ouais ok c’est prestigieux mais…mais…, j’aurais plus le temps de faire de la musique avec mon groupe. J’aurais plus le temps de m’occuper de mon gamin. Est-ce que moi je vais me retrouver…est-ce que ça va me suffire moi… est-ce que je vais être satisfait moi… de me retrouver tour seul en Australie dans un hôtel. Ok à faire un truc prestigieux mais j’verrai pas mon gosse, j’vais abandonner une équipe de gens avec qui le travail était engagé, intéressant…’fin voilà. Donc en fait j’ai rappelé j’ai dit non désolé je passerai pas l’audition et puis voilà. Je pense que j’ai eu raison vraiment quoi. Alors bon ben ouais je pense que je deviendrai pas célèbre. Je pense je deviendrai pas célèbre avec cette démarche-là. Mais bon tant pis.

 

-est-ce qui restera pas toujours des choses qu’on pourra pas me prendre ?

 

-Ce truc de solitude, de jouer un solo, ‘fin je partageais ça avec le mec qui faisait la mise en scène pis… pis les gens qui m’accompagnaient dans les festivals et tout ça mais… mais je me sentais vachement seul, j’avais vraiment envie de partager quelque chose d’artistique pas envie… pis le… j’avais vraiment envie ouais de collectif quoi, c’est pour ça que je suis allé à Chalon en partie et… voilà c’était bien du coup.

 

-En Allemagne, il y avait, je me souviens une grande discussion, toujours, entre les manières de jouer entre les comédiens de l’Est et les comédiens de l’Ouest. C’était différent. Et on a dit, les comédiens de l’Ouest ont dit, oui les comédiens de l’Est jouent très très technique, et très froid et sans cœur, et comme ça hmm… et de l’autre côté, on a dit, pfff, c’est sentimental et sans forme et comme ça… Et c’était une rivalité, oui au début.

 

-j’sais pas socialement on est des êtres, des êtres étranges quoi parce qu’on refuse une certaine, moi en tout cas je refuse une certaine, une grosse partie de la société actuelle et par mon métier je l’accepte quoi. Et par mon métier j’essaye d’accepter le collectif par exemple etc…mais…j’sais pas si c’est…j’sais pas si ça ça va durer. ‘fin mon père y dit des fois ouais t’aurais pu être… faire des études être bibliothécaire, ici à Limoges et tout, mais ça y rigole c’est pour me faire chier. Ou ma mère elle m’dit ça écoute si c’est trop dur que tu trouves pas d’emploi…hein t’es pas plus… t’es pas plus incapable qu’un autre… (rires) mais bon…

 

Paroles d’acteurs du spectacle recueillies par Guillaume Vincent

  • CDN de Normandie - Rouen | Rouen
    02 mai > 06 mai 2007
  • CDN Orléans / Centre-Val de Loire | Orléans
    28 nov. > 02 déc. 2006
  • Théâtre National de Strasbourg - TNS | Strasbourg
    05 oct. > 22 oct. 2006
  • La Ferme de Bel Ebat | Guyancourt
    10 mai 2007
  • Le Nickel | Rambouillet
    11 janv. 2007
  • L'Équinoxe | Châteauroux
    21 nov. 2006