

Deux amis
Deux amis c’est un couple Stanislas Nordey et Charles Berling vivant ensemble et travaillant ensemble qui remontent - comme l’avait fait Antoine Vitez avec les 4 Molière - Le misanthrope L’école des femmes Tartuffe et Don Juan de la manière que l’avait faite lui-même Molière et Antoine avec une table deux chaises et un bâton. Pendant la répétition et les questions de préparation du travail stanislas lit comme cela nous arrivera à tous sur le portable de charles un sms qu’il n’aurait pas du lire. À partir de là c’est l’explosion ultra violente en direct et en temps réel d’un couple d’artistes.
Pascal Rambert
Note d’intention par Pascal Rambert
Deux amis c’est un couple Stanislas Nordey et Charles Berling vivant ensemble et travaillant ensemble qui remontent - comme l’avait fait Antoine Vitez avec les 4 Molière - Le Misanthrope, L’école des femmes, Tartuffe et Don Juan de la manière que l’avait faite lui-même Molière et Antoine avec une table deux chaises et un bâton. Pendant la répétition et les questions de préparation du travail charles lit comme cela nous arrivera à tous sur le portable de Stanislas un sms qu’il n’aurait pas dû lire. À partir de là c’est l’explosion ultra violente en direct et en temps réel d’un couple d’artistes.
Entretien avec Pascal Rambert
Deux Amis est comme un nouveau texte dans ta cartographie de l’intime qui agrège des acteur·rice·s qu’on retrouve d’une pièce à l’autre depuis Clôture de l’amour. Quelle est l’origine de ce nouveau projet ?
Nous jouions Clôture de l’amour à Mexico, avec Audrey et Stanislas, en 2019. Nous nous sommes retrouvés à l’aéroport et Stanislas a exprimé son très grand et très fort plaisir qu’il a de jouer ce duo. Il m’a suggéré d’en écrire un autre, une forme de suite à Clôture, pour lui et Audrey. J’ai répondu qu’il était trop tôt pour écrire une suite. J’ai bien sûr en tête de le faire, mais plus tard, dans dix ou quinze ans, il faut laisser le temps au temps. Mais j’ai demandé à Stanislas avec qui il souhaiterait jouer. Sa réponse a été assez rapide : Charles Berling. J’ai demandé à Charles s’il était d’accord de jouer avec Stanislas et sa réponse a été joyeusement affirmative. J’étais très content. C’était une façon de retrouver Charles. J’avais écrit pour lui, il y a presque trente ans, en 1993, le solo De mes propres mains (Les Solitaires Intempestifs). Nous étions très proches à l’époque. Deux trentenaires qui devenaient père. Il y avait une profonde complicité. Nous savions, de près ou de loin, ce que chacun faisait sur un plan artistique. Au moment d’Architecture, créé en 2019 à Avignon, nous nous sommes croisés et, en riant, je lui ai dit qu’il était comme l’acteur manquant de toute cette tribu sur le plateau. Il aurait pu faire partie du groupe. J’étais très heureux d’écrire à nouveau pour lui. Je me souvenais d’un Charles vu au TNS à l’époque où c’est Jean-Louis Martinelli qui le dirigeait. Un acteur capable d’inventer dans l’instant présent. Une sorte de jeune Jean-Pierre Léaud.
Peux-tu revenir sur l’impulsion de l’écriture de la pièce ?
Je suis au Café de la Mairie, place Saint-Sulpice, j’attends ma compagne Aurélie. À côté de moi, une femme prend un thé. Elle a une petite quarantaine d’années. Une femme plutôt bourgeoise, du 6 e arrondissement. Elle regarde à gauche, à droite. Puis je vois une autre femme arriver, qui d’ailleurs lui ressemble un peu. Même classe sociale, le même âge, peut-être un peu plus jeune. Mon activité principale est d’écouter ce que les gens disent autour de moi. C’est ma source d’inspiration. J’écoute et j’observe discrètement. Je crois savoir m’y prendre pour saisir des conversations sans être vu. Très vite, mon intuition se confirme. La dramaturgie de la situation, c’est l’affrontement entre la conjointe et l’ex-conjointe d’un même homme. Elles se parlent parce qu’elles ont quelque chose à régler. Et cette chose est un SMS. Je comprends que la nouvelle conjointe a vu un SMS envoyé à son conjoint par l’ex-conjointe. Cette anecdote est un élément déclencheur. Je voulais écrire sur la mécanique des SMS. C’est un phénomène qui arrive à beaucoup de gens. Dans la presse, j’ai lu un article qui expliquait comment ce type de messagerie pouvait détruire des couples. C’est le surgissement d’une intimité qui est à portée de vue. Cela faisait un moment que j’avais envie d’écrire une pièce sur les incidents créés par les SMS et là-dessus s’est ajouté le fait qu’il était question d’une histoire sentimentale entre deux hommes. Enfin, je voulais rendre hommage à Antoine Vitez. Ces deux hommes, qui s’aiment et sont unis dans la vie, sont aussi un couple d’artistes qui tentent de refaire les Quatre Molière que Vitez avait mis en scène au Festival d’Avignon en 1978. Avec deux chaises, une table, et un bâton.
Pourquoi introduire Vitez dans la dramaturgie du texte ?
Je pense qu’arrive le moment où on a tous envie de revenir clairement à des choses du passé. Ce moment précis et incertain où on a entre dix-huit et vingt ans. Je suis parti de mes souvenirs avec Antoine. Je voulais aussi trouver quelque chose qui soit juste et approprié pour Stanislas et Charles. Qu’est-ce qui nous reste d’Antoine ? Des livres, évidemment, de la poésie… Mais si on veut vraiment se tourner et voir Antoine, il faut regarder Ma Nuit chez Maud d’Éric Rohmer, un film de 1969, avec Françoise Fabian et Jean-Louis Trintignant. C’est le seul film où on peut le voir jouer. Dans mon texte, j’ai choisi de mettre un extrait du film. Charles et Stan jouent ce dialogue en endossant les personnages de Jean-Louis Trintignant et Antoine Vitez.
À vrai dire, ce sont surtout les Quatre Molière de Vitez qui m’intéressaient et me sont revenus. C’est le premier spectacle de théâtre que j’ai vu. C’était à Nice. Il se trouve que je jouais Clitandre dans une mise en scène amateure du Misanthrope. Nous jouions ce spectacle au mois de juillet 1978 dans les villages de l’arrière-pays niçois. Je connaissais le texte par cœur. Et dans la saison qui suivait, il y avait ces Quatre Molière. Je ne savais même pas qui était Vitez. Soudain, j’assistais au Misanthrope joué par un certain Marc Delsaert, qui deviendra mon ami. Nous habiterons Barbès. C’est un acteur sublime. Richard Fontana, aussi. J’étais face à tout ce qui a bouleversé ma vie. C’était avec ces gens-là que j’allais travailler. Vitez nous invita, ma compagnie et moi, à l’École de Chaillot. Ça fait partie de ma vie. C’est important de revenir sur ce moment-là. Je m’aperçois, en plus, que les jeunes gens ne connaissent pas vraiment Vitez. Pour Vitez, rien n’était jamais figé, tout était transformable, en mouvement, et possible, artistiquement. Rien n’était jamais acquis. On tentait quelque chose, et après, il nous demandait d’explorer le contraire. Sa pratique ne répondait à aucun dogme et c’est cet antidogmatisme qu’il nous enseignait. C’était un professeur qui était capable de dire : « Je ne sais pas. » Le laboratoire était l’espace de sa pédagogie. À la différence de Brook ou de Grotowski, il n’a jamais figé une méthode. C’était libre et ouvert, en permanence. Il inventait sur le moment-même avec les gens qu’il avait en face de lui. C’est cette chose-là dont parle le début de la pièce, il s’agit vraiment d’une réflexion partagée sur l’art du théâtre. J’avais envie de faire revenir ce passé.
C’est une pièce d’art, pourrait-on dire ? Et une pièce d’amour, de guerre et de mort ?
Oui, c’est une pièce d’art. Le théâtre comme art a tellement changé ma vie. C’est un couple qui se retrouve pour répéter ces Quatre Molière de Vitez. Ils sont au travail. Ils discutent sur des choix, des orientations artistiques à tracer. Comment mettre en scène ? Ils ne sont pas d’accord. C’est aussi une façon de se moquer des metteurs en scène. Selon moi, Deux Amis, c’est comme une vanité en peinture. Je me moque des metteurs en scène, de moi, du monde dans lequel je vis, de ce monde du théâtre, des critiques dramatiques, du personnel des théâtres, des techniciens, c’est une vanité sur mon art. Ça paraît piquant. Ce n’est pas que gentil. Mais toutes ces choses-là paraissent tellement vaines par rapport à la mort. Et l’amour qu’ils ont l’un pour l’autre. Charles agonise à la fin. C’est aussi une sorte de memento mori. Donc, oui pour une pièce de mort. Et oui, aussi pour une pièce d’amour. Oui, absolument. Il n’y a rien de pire que de ne pas avoir connu ce qu’est l’amour. Puis enfin, oui à la pièce de guerre. Il y a un SMS avec une phrase qui surgit, que voit Charles par inadvertance. Le surgissement d’une phrase étrange qui reste difficile à comprendre, et qui est donc interprétable : « Seulement la peau ». Qui peut susciter un délire d’interprétation. J’aime écrire ce délire. Cette déflagration. Il y a une vérité dans la déflagration d’un couple. Un téléphone portable, c’est terrible. Ça peut déclencher des scènes de ménage explosives et j’aime écrire cette dramaturgie explosive. C’est une vanité. Il y a une ancêtre. C’est Nathalie Sarraute. J’ai aimé passionnément Sarraute. Tu penses quelque chose que tu ne dis pas et il faut aller dénicher cette chose. Une sorte de folie sur l’amour. Où on ne croit plus l’autre. Où on croit que la parole de l’autre n’est que mensonge. Où l’on fait des procès d’intention.
C’est une pièce sur le regard, aussi.
Il y a cette sublime citation d’Isabelle Huppert à la fin de la pièce. J’ai écrit cette pièce à Athènes. J’écoutais la radio et Isabelle disait ça, sur le regard. Elle reconnaît qu’elle a été parfois regardée, alors que c’est l’une des plus grandes actrices du monde. Les metteurs en scène ne savent pas regarder les acteurs et les actrices. Ils sont préoccupés par leur décor, leur lumière, ils bâtissent des grands ensembles, en projetant leur petite fantaisie intérieure, avec leur dramaturgie, mais ils ne regardent pas l’acteur·rice qui est au centre. La pièce parle de cela bien sûr, d’un homme qui regarde un autre homme, d’un metteur en scène qui regarde un acteur.
Tu explores une nouvelle forme, avec ce texte. C’est un texte baroque, non ?
Au commencement, on ne sait déjà pas dans quoi on entre, on ne comprend pas ce qui se passe. Où ça va ? Qu’est-ce qui se passe ? Qu’est-ce qu’ils racontent ? Oui, c’est vrai, il y a un aspect baroque. C’est ce qui me plaît, l’expérimentation des formes. Dans tout ce que j’ai écrit, il n’y a pas une pièce qui se ressemble. Dans celle-ci, il y a des ellipses, une temporalité morcelée, incertaine, des arrêts sur image qui ont la forme d’un monologue-portrait, des collages, un extrait de Ma Nuit chez Maud, et un passage de Tartuffe, une scène de sexe, une autre de ménage, une scène performative de destruction. Ils sont toujours en train de faire quelque chose. Et c’est la première fois que je fais mourir quelqu’un sur le plateau. En même temps, j’aime faire un théâtre avec peu de choses. Un théâtre de presque-rien. Là, il y aura une table, des chaises, un bâton. Les accessoires qu’avait Vitez pour ces Quatre Molière. Pour faire du théâtre, on n’a pas besoin de grand-chose. C’est la racine même du théâtre. J’aime cette radicalité. C’est peut-être ma première pièce réactionnaire. Vitez disait qu’il y avait la modernité et une autre modernité, mais plus grande. Il donnait l’exemple de la course dans un stade ovale. Il y a le groupe qui court devant et derrière, il y aurait le dernier, mais en fait il a un tour d’avance. Les artistes qui m’ont intéressé sont Kazuo Ōno ou Alain Cuny. Cuny affrontait le texte, ils sont dans un rapport direct au texte. Ils ne font pas les marioles avec de la mise en scène. C’est le travail que j’essaie de faire. À un moment donné, j’ai tout balayé : décor, costume, etc., pour avoir des acteur·rice·s sur un plateau et de la parole. C’est ça, selon moi, la grande modernité. J’écris toujours pour les acteurs et les actrices. Ma langue est modifiée par la personne pour qui j’écris. Une pièce ne peut pas ressembler à la précédente. Car je modifie, langue et structure de la pièce. J’ose la modification en moi. Ce n’est pas une démarche que je revendique, je l’ai seulement comprise au fil du temps, en écrivant pour tous ces acteurs et ces actrices. Je me laisse modifier par eux et je pense que c’est une vertu.
Tu intègres ce moment réel de destruction dans la pièce. Le performatif a toujours été un des éléments constitutifs de ton acte théâtral.
La scène qui suit la lecture du SMS est jupitérienne pour Charles. C’est un débordement de jalousie, de folie, de blessures, d’inventions de ce que pense l’autre. J’aime développer cet emballement de fantasme qui porte sur un fait, un geste, un regard et qui déclenche des jalousies immaîtrisables. Stan supporte ça de la part de Charles. Il doit rester un mur. Il ne doit pas lui dire ce qui est vrai ou faux. Le spectateur non plus ne doit pas savoir. Il faut que, dans le public, on se dise que tout est possible, mais que rien n’est définitif. C’est pourquoi j’ai prévu cette scène de destruction, car Stan doit se défouler, il a tant supporté. Il se lâche. J’avais vu sur des vidéos des lieux où tu paies pour casser des objets, avec de la musique très forte. Tu viens te défouler en détruisant. J’ai intégré ça dans la pièce.
Le monologue-portrait de Charles sur Stan : il parle du chagrin que porte Stan en lui. Le chagrin a une grande place dans la pièce.
En fait, avec Deux Amis, j’anticipe le texte que je vais écrire pour les acteur·rice·s associé·e·s du TNS et qui s’intitule Mon Absente. Le texte sera créé durant la dernière saison de Stanislas au TNS, en 2022-2023. Ce sera un texte en hommage à Véronique Nordey. J’en parle déjà un peu dans Deux Amis puisque Charles raconte par exemple qu’il y a la mère de Stan, qu’on peut l’apercevoir comme figurante, dans Ma Nuit chez Maud. Le texte portera sur l’absence de Véronique. Quand j’écris Deux Amis, je sais déjà que je vais écrire Mon Absente en pensant à Véronique.
Tes titres sont sobres et presque toujours nominatifs. Il y a comme une marque de fabrique Rambert.
Pour moi, le titre doit tout contenir. Je ne peux pas écrire si je n’ai pas le titre. C’est la condition de l’écriture. C’est une carte mémoire. Le mot est programmatique. Après je déplie.
Entretien réalisé par Frédéric Vossier, conseiller artistique et pédagogique, le 13 avril 2021 à Paris
Critiques
- Théâtre du blogpar Christine Friedel
Une histoire de couple
Charles et Stan laissent toute liberté à leurs jeux d’enfants, tendresses brutales, bagarres de cour de récréation. Au point de s’énerver contre le bric-à-brac accumulé en fond de scène.
- Le Figaropar Nathalie Simon
On ne nous y reprendra plus
Le nouveau spectacle écrit et mis en scène par l'auteur d'Architecture fait fuir le public. On comprend pourquoi.
- Webtheatrepar Noël Tinazzi
Stanislas Nordey et Charles Berling se mettent à nu
La scène du Théâtre du Rond-point est vide avec juste un tapis de sol qui pourrait délimiter un ring sans cordes. A l’arrière-plan, tout un capharnaüm d’objets et accessoires les plus divers posés pêle-mêle sur des praticables.
Recommandation :W W W - La Terrassepar Manuel Piolat Soleymat
Un couple d’hommes de théâtre
« Dans Deux amis, le monde est dans les phrases », déclare Pascal Rambert. Des phrases tranchantes, virulentes, obsessionnelles, d’une franchise exaltée, qui ne laissent aucune place à la moindre possibilité de tempérance ou d’atermoiement.
- Les Inrockspar Fabienne Arvers
Pascal Rambert exalte l’amour dans “Deux amis”
Charles Berling et Stanislas Nordey se jettent à corps perdus dans l’homérique bataille de “Deux amis” de Pascal Rambert.
(abonnés) - Scenewebpar Vincent Bouquet
Deux amis à la peine
Au Théâtre des Bouffes du Nord, Charles Berling et Stanislas Nordey s’embourbent dans le duo-duel de Pascal Rambert, où l’écriture se délite et la langue s’épuise au fil du temps.
- Les Échospar Philippe Chevilley
Les quatre coups de Pascal Rambert
Les Bouffes du Nord proposent pendant trois semaines un cycle dédié au prolixe auteur et metteur en scène. Au menu de ce « Moment Rambert », deux succès et deux créations, interprétés par des comédien(ne)s rares : Marina Hands, Audrey Bonnet, Stanislas Nordey, Charles Berling et huit jeunes talents de l'Adami.
Archives des représentations
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Châteauvallon - Le Liberté, scène nationale
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Toulon
26 janv. > 28 janv. 2023
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Théâtre du Rond-Point
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Paris
23 nov. > 03 déc. 2022
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French Theater Festival
17 sept. > 18 sept. 2022
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Piccolo Teatro di Milano - Teatro d'Europa
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Manerba del Garda
05 mai > 07 mai 2022
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Théâtre des Bouffes du Nord
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Paris
09 nov. > 14 nov. 2021
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Le Carré Sainte-Maxime
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Sainte-Maxime
11 mai 2024
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Théâtre Princesse Grâce
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Monaco
07 mai 2024