Catarina et la beauté de tuer des fascistes

Catarina et la beauté de tuer des fascistes
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Catarina et la beauté de tuer des fascistes

Tiago Rodrigues

Aujourd’hui c’est au tour de la jeune Catarina de tuer son premier fasciste, kidnappé pour l’occasion. Cependant, elle refuse de le faire…

L’auteur et metteur en scène portugais décrit le conflit familial et la confusion qui éclatent et déchaînent les questionnements. Qu’est-ce qu’un fasciste ? Pouvons-nous violer les règles de la démocratie pour mieux la défendre En situant l’action dans un avenir proche, Tiago Rodrigues se détache de la réalité, pour mieux l’observer, l’anticiper. Il crée une allégorie pour interroger les lois et la morale de notre temps et pour débusquer les futures tendances fascistes dans nos sociétés. Et ce poème dystopique devient fable lorsque le fasciste qui attend son sort s’entretient la nuit avec le fantôme d’une autre Catarina, Catarina Eufémia une travailleuse agricole abattue pendant la dictature d’António de Oliveira Salazar en 1954

Tiago Rodrigues écrit ses textes pour ses interprètes au fil des répétitions, convoquant mémoires collectives rituels et enjeux politiques ou artistiques. Ensemble, ils explorent comment le théâtre peut interpeller le réel, en se plaçant sur le seuil incertain qui sépare la vie et l’artifice de l’art.

Entretien avec Tiago Rodrigues

Propos recueillis par Mélanie Drouère

Tiago Rodrigues, avec Catarina et la beauté de tuer des fascistes, vous ouvrez le débat sur une question très épineuse, à savoir celle de considérer la violence comme outil potentiel de défense de la démocratie. Cette question a-t-elle ouvert des discussions depuis le début de vos représentations ?

Tiago Rodrigues : Elle a ouvert de grands débats. Un premier, superficiel mais important, concernait le titre, qui a agité des figures publiques et des partis politiques d’extrême-droite, lesquels ont réagi comme s’il s’agissait là d’une glorification de la violence. Or si « beauté de tuer » encapsule une espèce de provocation, ce n’est absolument pas une affirmation.
Lire « beauté de tuer », puis « fascistes », dans plusieurs pays, rappelle des années de plomb, des temps où la violence était effectivement utilisée comme outil politique, hors la légalité et hors la morale. Certes, il y a eu des résistances armées légitimes ou, plus précisément, que l’Histoire a légitimées, telles la Résistance en France ou les Partisans en Italie ; néanmoins, la violence comme outil politique est très associée à la notion de terrorisme. C’était déjà le cas à la fin du XXe siècle avec les Brigades Rouges ou l’ETA, où la lutte armée se transformait en terrorisme, et ça l’est encore davantage aujourd’hui avec le fondamentalisme islamique terroriste. L’idée de la violence comme outil politique a énormément changé, et j’en étais conscient en proposant ce titre provocateur. C’est un titre exigeant, finalement, au sens où il doit être compris comme le titre d’une œuvre d’art et non comme une assertion politique ou une tribune. Il s’agit de comprendre que l’œuvre en soi contient les questions et la poétique que nous proposons, et que le titre n’est qu’un point de départ pour y arriver. Au Portugal, la controverse autour du titre a commencé avant même la première du spectacle : le directeur artistique du Théâtre National, moi (rires), créait, dans ce Théâtre National, une pièce avec un tel titre ! Je trouve cette
réaction profondément enracinée dans des préjugés ou réflexes soit ignorants, soit malicieux, et qui essayaient, à mon avis, de façon opportuniste, de profiter du titre d’une pièce de théâtre pour réaliser une propagande, voire une attaque politique. Ce qui était intéressant, c’est que comme ces discussions avaient lieu avant la première, nous avons pu y répondre avec la pièce elle-même, en cours d’écriture !
Le deuxième débat était réellement intéressant, qui concernait la pièce en tant que telle, laquelle dérangeait non seulement l’extrême-droite, mais tout le spectre politique, parce qu’elle donne un espace particulier à une dialectique sur le doute...
C’est au final une pièce sur le doute, le doute à propos de la violence, le doute sur la façon de réagir aux extrémismes et à l’intolérance, en vue de défendre la démocratie. Le spectacle, dans sa deuxième partie, donne beaucoup d’espace à une rhétorique que, personnellement, je considère comme fasciste, ou d’inspiration fasciste, qui est la rhétorique de l’extrême-droite populiste que l’on observe un peu partout en Europe et dans le monde. Ca a dérangé beaucoup de monde qu’un spectacle de théâtre donne tant d’espace à la présentation de cette rhétorique. Nous jouons sur la lisière entre discours artistique et discours politique, public ou médiatique. Ce débat nourrit encore substantiellement le spectacle.
Le dilemme est l’un des outils essentiels de cette pièce, au sens où elle est animée par les dilemmes des personnages, mais aussi, à un moment donné, par le dilemme du public de laisser ou ne pas laisser parler l’un des personnages, laisser ou ne pas laisser passer un discours ressenti comme une offense, une insulte. Je crois que le théâtre, sans pour autant prôner la violence comme une option ou un chemin, doit pourtant, dans une démocratie, avoir le droit de poser des questions sur la violence et sa possibilité. Or ce droit, je le considère aussi comme un devoir.

Avec les autoritarismes montants, comment cette pièce dystopique – la situation se déroule en 2028 - se frotte-t-elle au réel, à ce qu’il advient réellement aujourd’hui en Europe et dans le monde ?

Au début de la création, donc avant la pandémie, nous projetions de placer l’action en 2020, dans le présent, dans la perspective de traiter avant tout des résidus de fascisme qui imprègnent encore la société portugaise après 48 ans de dictature. Mais lors des législatives d’octobre 2019 au Portugal, pour la première fois depuis la Révolution de 1974, un député d’extrême-droite a été élu. Puis il y a eu la pandémie Du fait de ces événements, j’ai modifié deux éléments : ce ne serait plus une pièce sur l’archéologie du fascisme mais sur la menace d’un nouveau type de fascisme, ce qui a mis la pièce un peu plus en ligne avec le reste du monde et notamment de l’Europe. J’ai par ailleurs changé de cadre temporel, parce que la pandémie nous a volé notre capacité à nous projeter dans l’avenir. J’ai alors décidé de faire une pièce qui se projette dans l’avenir pour nous donner la sensation que nous, l’équipe en travail sur ce spectacle, travaillions pour un horizon lointain qui existait encore. C’est ainsi devenu une pièce beaucoup plus dystopique qu’impliquée dans l’actualité, envisageant des situations à venir, d’une façon peut-être pessimiste, mais je préfère être pessimiste au théâtre pour rester optimiste dans la rue (sourire). D’ailleurs, à peine deux ans plus tard, en 2022, lors des dernières législatives, il n’y a plus eu un, mais douze élus d’extrême-droite. Et puis, la guerre en Ukraine a commencé. Donc, si la pièce ne prétendait pas être prophétique, pour nous qui la jouons dans la durée, ces signes alentour sont ceux d’une dystopie qui s’approche.
Entre la première en septembre 2020 au Portugal et la dernière représentation en avril à Modène, en Italie, le monde a énormément changé et, en même temps que cela nous effraie, ces situations nous mobilisent et nous indiquent de nouveaux sens dramaturgiques.

Podcasts

  • France inter
    par Le Vif de l'histoire

    Tiago Rodrigues : un théâtre anti-fasciste

    Italie : les postfascistes prennent le pouvoir au moment du centenaire de la Marche sur Rome qui a vu en 1922 la victoire de Mussolini. En parallèle au Brésil, l'élection présidentielle offre un beau score au leader d'extrême droite Jair Bolsonaro.

  • France culture
    par Affaire Critique

    Un objet culturel passé au crible d’une critique libre et assumée.

    C’est un spectacle parmi les nombreux qu’on peut voir en ce moment en France du metteur en scène, et désormais directeur du festival d’Avignon Tiago Rodrigues. Il date déjà de quelques années mais les représentations ont été interrompues avec le COVID, et il arrive en France précédé d’une rumeur un peu excitante...

Critiques

  • Inferno
    par Martine Fehlbaum

    Quand Tiago Rodrigues était visionnaire

    Car, face au dilemme moral et affectif de l’élue, chaque spectateur se fait sa propre idée… Mais c’est sans compter un dénouement magistral qui nous ébranle et nous transformerait presque de docteur Jekyll en Hyde prêt à toutes les dérives…

  • L'alchimie du verbe
    par eleonorekolar

    Tuer ou ne pas tuer, douter ou ne pas douter

    Catarina, ange parmi ses frères et sœurs et préférée de sa mère, a atteint l’âge fatidique où elle devra ôter la vie pour entrer dans la saga familiale. La pièce s’ouvre donc sur cette journée de fête et de recueillement, ce rite de passage qui fera de Catarina une héroïne.

  • Sceneweb
    par Vincent Bouquet

    Catarina ou le dilemme de tuer des fascistes

    Sans manichéisme, mais non sans longueurs, le dramaturge portugais Tiago Rodrigues révèle l’impasse dans laquelle se trouvent nombre de pays européens face à la montée de l’extrême-droite.

  • La Presse
    par Stéphanie Morin

    Atmosphère explosive sur scène... et dans la salle

    Coincé entre la haine déversée sur scène et celle qui venait du public, il était impossible de ne pas ressentir une énorme charge d’adrénaline remplir ses veines.

  • Jeu _ Revue de théâtre
    par Raymond Bertin

    Plongée dans le dilemme

    Les réactions dans la salle, comme celles observées le soir de la première, sont intelligemment appelées par la construction même de la pièce. Voici un théâtre véritablement politique...

  • Le Devoir
    par Marc Labrecque

    Quand le théâtre se propage dans la salle

    Inquiet devant l’ascension des partis populistes d’extrême droite en Europe, le nouveau directeur du Festival d’Avignon a signé une fable sur ce qu’il nomme le paradoxe de la tolérance : doit-on tolérer les intolérants ?

  • Le Soir
    par Jean-Marie Wynants

    Du spectacle doit naître le débat

    L’époustouflant spectacle « Catarina et la beauté de tuer des fascistes » se joue au Théâtre de Liège en ce moment. « Le Soir » a rencontré son metteur en scène Tiago Rodrigues et le politologue Clément Viktorovitch.

    (abonnés)
  • Le club Mediapart
    par Guillaume Lassere

    Tiago Rodrigues, la démocratie assassine

    La violence peut-elle sauver la démocratie ? Avec « Catarina et la beauté de tuer des fascistes », Tiago Rodrigues réinvente un théâtre populaire, à la fois courageux et dérangeant.

  • Télérama
    par Fabienne Pascaud

    Tiago Rodrigues, ou le vrai théâtre populaire d’aujourd’hui

    Catarina et la beauté de tuer des fascistes dérange, fait réfléchir, réagir, et c'est bien. Du vrai théâtre populaire d'aujourd'hui.

    (abonnés)
  • Mouvement
    par Aïnhoa Jean-Calmettes

    Tenir le dilemme

    Au théâtre, la pièce de Tiago Rodrigues, ose une solution radicale : il faut tuer les fascistes. Bourreau ou victime, bien ou mal, les mots ont-ils encore un sens et un pouvoir d’action ?

  • Un fauteuil pour l'orchestre
    par Denis Sanglard

    S’il n’est pas déjà trop tard

    Dans cette famille, il est une tradition à laquelle on ne déroge pas depuis 70 ans, depuis le régime de Salazar où l’aïeule commit la chose : tuer un fasciste.

    Recommandation :
    fff
  • Le Monde diplomatique
    par Marina Da Silva

    Qui a vu mourir Catarina ne pardonne pas

    En Italie, Fratelli d’Italia, le mouvement post fasciste de Giorgia Meloni vainqueur des récentes législatives, a exigé publiquement son interdiction.

  • Toute la culture
    par Amelie Blaustein Niddam

    Tiago Rodrigues jusqu’à la révolution aux Bouffes du Nord

    Le nouveau directeur du Festival d’Avignon s’amuse à nous plonger dans une catharsis à la violence au décalage inouï. Catarina et la beauté de tuer des fascistes est une bombe qui explose au premier degré.

     

  • Le Monde
    par Fabienne Darge

    Tiago Rodrigues, de l’intime au politique

    Deux spectacles aux Bouffes du Nord, à Paris, donnent à voir l’étendue de la palette de l’auteur et metteur en scène, nouveau patron du Festival d’Avignon.

  • Les Échos
    par Philippe Chevilley

    La fable politique coup de poing de Tiago Rodrigues

    Avec « Catarina et la beauté de tuer des fascistes », le maître portugais a conçu une pièce hybride, dérangeante, qui partant du conte nous ramène à la réalité de la montée de l'extrême droite en Europe. Un des chocs du Festival d'automne à découvrir aux Bouffes du Nord.

  • L'Œil d'Olivier
    par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore

    Catarina ou l’anti-fascisme à l’épreuve du doute

    Tiago Rodrigues présente Catarina ou la beauté de tuer des fascistes, une dystopie prophétique qui résonne amèrement en ces jours noirs qui voient, dans plusieurs pays européens, les partis extrémistes aux portes du pouvoir. 

Calendrier des représentations

Vilnius New Drama Action Festival | Vilnius

jeu.09oct. 2025
ven.10oct. 2025

Teatro Circo | Braga

mar.06janv. 2026
mer.07janv. 2026

Culturgest Lisboa | Lisbonne

lun.12janv. 2026
mar.13janv. 2026
mer.14janv. 2026
jeu.15janv. 2026
ven.16janv. 2026
sam.17janv. 2026
  • La Criée | Marseille
    19 mars > 21 mars 2025
  • Théâtre Vidy-Lausanne | Lausanne
    11 févr. > 14 févr. 2025
  • Lugano Arte e Cultura | Lugano
    11 févr. > 14 févr. 2025
  • Théâtre de la Croix-Rousse | Lyon
    06 févr. > 07 févr. 2025
  • Festival d'Avignon | Avignon
    18 janv. > 19 janv. 2025
  • Espace 1789 | Saint-Ouen
    09 janv. > 10 janv. 2025
  • Nicosia International Festival | Nicosie
    10 déc. > 11 déc. 2024
  • Brooklyn Academy of Music | New York
    13 nov. > 17 nov. 2024
  • Noorderzon Performing Arts Festival Groningen | Groningen
    23 août > 24 août 2024
  • PS21 | Chatham
    05 juil. > 06 juil. 2024
  • deSingel | Anvers
    15 déc. > 16 déc. 2023
  • Onassis Stegi | Athènes
    04 déc. > 08 déc. 2023
  • Festivalului Național de Teatru | Bucharest
    20 oct. > 21 oct. 2023
  • Theater der Welt | Frankfurt
    09 juil. > 10 juil. 2023
  • La Biennale di Venezia | Venise
    30 juin > 01 juil. 2023
  • ThéâtredelaCité – CDN Toulouse Occitanie | Toulouse
    07 déc. > 10 déc. 2022
  • Théâtre de Liège | Liège
    01 déc. > 03 déc. 2022
  • Maison de la Culture d'Amiens | Amiens
    19 janv. > 23 nov. 2022
  • Théâtre des Bouffes du Nord | Paris
    07 oct. > 30 oct. 2022
  • Studio Bergen | Bergen
    30 août > 31 août 2022
  • Teatro Nacional Dona Maria II | Lisbonne
    09 déc. > 10 juil. 2022
  • Teatro Nacional São João | Porto
    25 juin > 03 juil. 2022
  • Teatro Storchi | Modena
    28 avr. > 29 avr. 2022
  • Casa da Cultura de Ílhavo | Ílhavo
    22 avr. > 24 avr. 2022
  • Teatro Argentina di Roma | Rome
    11 avr. > 14 avr. 2022
  • Wiener Festwochen | Wien
    23 juin > 25 juin 2021
  • Tampereen Työväen Teatteri | Tampere
    10 août 2024
  • Théâtre National Wallonie-Bruxelles | Bruxelles
    27 sept. 2025
  • Cine Teatro Louletano | Loulé
    07 mai 2022
  • Centro Cultural Vila Flôr | Guimarães
    19 sept. 2020