Nous, les héros

Nous, les héros
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Nous, les héros

Jean-Luc Lagarce, Robert Sandoz

Une troupe de théâtre un peu cabossée.

À l’issue d’une représentation théâtrale par une troupe minable, dans un théâtre minable, quelque part en Europe, les comédiens parlent entre eux de leur condition d’acteur, de leurs conflits, de leur avenir qui n’existe pas, de leur manque d’idéal avec une cruauté désespérée. Dans cette ambiance de pessimisme kafkaïen, de défaitisme, une fête se prépare, les fiançailles de la fille aînée des patrons avec le jeune premier, mais personne ne se réjouit, personne ne parvient à faire semblant, à jouer la comédie. Ni pour une fois renoncer à cette vie sans désir, quitte à partir. Mais on ne dit adieu que pour signifier que l’on reste. La pièce exprime l’impuissance à tous les niveaux, et en particulier celui de la communication entre les personnages qui éprouvent des difficultés à s’exprimer, un handicap que l’on peut extrapoler à l’ensemble de la société.

Note d’intention

« Alors qu’intellectuellement, je me sens de plus en plus concerné, impliqué dans les grandes questions posées à nos sociétés actuelles, que je suis de plus en plus convaincu qu’il me faut réagir, me positionner, devenir plus politique, quelque chose en moi est en train de s’éloigner. Est-ce l’expression d’un désespoir, une manière de me protéger, le contrecoup d’une félicité familiale, simplement de la peur, une conversion souterraine à la philosophie nihiliste ? Rien de tout ça, je crois. Juste un mouvement intérieur, un recul, un isolement. Une fatigue ? Un besoin de stopper le flux d’informations ? Étrangement, j’ai l’impression que ce sentiment d’isolement, je ne suis pas le seul à le vivre. Et si nous commencions à partager le fait de ne pas vouloir être ensemble ?

Pour répondre aux questions, je n’ai qu’une méthode : faire du théâtre. Travailler plusieurs mois sur un sentiment par le biais d’un texte qui fait vibrer en moi une corde trop sensible. Elle sert de radar à mon choix. Nous, les héros de Jean-Luc Lagarce fait résonner cette interrogation de l’inutilité et de l’isolement. Elle y offre une réponse pour les moments où l’on doute : être conséquent avec nos engagements.

Jean-Luc Lagarce écrit Nous, les héros avant de se savoir malade. Si l’impossibilité d’une communication autre qu’en surface et le poids du non-dit sont déjà une thématique présente, celles de la mort et de la maladie en sont absentes. Ici, l’écriture est à quatre mains car le dramaturge contemporain s’est inspiré du Journal de Kafka dont certains passages sont devenus des répliques au mot près. Les deux auteurs mélangent leur mélancolies et leur humour désabusé pour examiner l’impression d’être hors du monde. Dans cette comédie, on suit une troupe décadente dans un pays en crise. Nostalgiques des salles de bal pleines de la Belle Epoque, ils cumulent les salles vides de provinces et ne sont plus certains de l’utilité de leur art. L’un se réfugie dans la nourriture, l’autre ne veut plus jouer que déguisé en singe pour être l’allégorie du monde, encore un autre voit le salut dans un engagement politique, mais la cheffe de troupe se réfugie dans le mariage de sa fille aînée avec le jeune premier qui reprendra l’affaire ensuite. Mais celui-ci est amoureux de la grande tragédienne, déjà mariée. Arriveront-ils à monter leur futur opérette juive avant d’imploser? La fidélité et la foi en une idée viendront de l’endroit le plus inattendu. C’est une pièce sur les convictions: artistiques, politiques, intimes. Et surtout, une pièce sur le fait d’être conséquent dans un monde en déliquescence.

Nous, les héros s’inscrit dans la suite thématique de nos dernières créations : comment trouver sa place dans notre monde contemporain ? Après avoir longtemps étudier l’ancrage dans la famille et au travers d’elle dans le monde (La pluie d’été de Duras, Antigone de Bauchau, Kafka sur le rivage de Murakami), après avoir présenté de manière contemporaine les tristes perspectives pour les jeunes dans D’acier d’Avallone et le rapport d’identité et de classe de façon humoristique dans Le Bal des voleurs d’Anouilh, nous retrouvons encore une fois des solitudes tentant d’entrer en communication avec les autres, principalement dans un rapport de travail. Il y a quelque chose de fondamental dans cette impossibilité de se connaitre soi-même et surtout de le faire comprendre aux autres dans l’écriture de Lagarce. C’est cruel car c’est intime et vrai. Il y a donc un travail de sincérité à construire. La langue est très littéraire et semble pourtant se reprendre sans cesse, tourner autour de la chose que l’on n’ose pas avouer: cette vérité qui ne fait que peu bon ménage avec la vie en société. Lagarce travaille donc sur une fausse impression de vérité, de documentaire. Ainsi, les acteurs jouent des acteurs. Non pas pour dire quelque chose sur le théâtre mais pour être ce qu’ils sont vraiment. Il joue sur un trouble chez le spectateur qui sait que tout est faux, mais qui voit les interprètes être proches de leur vrai quotidien. Il faut rappeler que la source de toute cette pièce est un journal intime publié, c’est-à-dire une œuvre privée remodelée pour le public. C’est exactement le trajet du spectacle.

La scénographie doit suivre ce mouvement de fausse vérité. Il ne faut donc pas appuyer le côté théâtre qui éloignerait l’identification possible du spectateur et créerait un spectacle qui parle uniquement de théâtre. À l’inverse d’un décor habituel imposant au lieu de représentation son univers, nous devons inventer une souplesse qui utilise le lieu. Comme si le spectacle était inventé pour le lieu dans lequel il prend place. Les maîtres mots de simplicité, de vérité, de coulisse comme un lieu de passage, ni scène, ni vie quotidienne nous semblent guider le travail sur l’espace. Comme un purgatoire qui me semble être toujours présent dans tous les écrits de Franz Kafka, ce texte se déroule dans la zone d’inconfort constituant notre quotidien sociétal. Nous ne sommes pas en enfer, nous ne croyons plus au paradis et ne voyons pas comment changer notre statut. Nous attendons une lumière qui nous en sorte. Peut-être, mais vraiment peut-être et pour quelques élus, l’amour le peut-il ? »


Robert Sandoz, metteur en scène

Source : Programme (Théâtre Forum Meyrin)

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