
No Yogurt for the Dead
Lorsque le père de Tiago Rodrigues était à l'hôpital, réalisant qu'il allait mourir, il recevait régulièrement la visite d'une femme appelée Teresa. Elle travaillait comme bénévole à l'hôpital et prenait le temps de parler aux patients pour rompre leur solitude. Plus tard, Tiago Rodrigues a découvert que Teresa était une actrice qu'il connaissait bien.
Depuis son lit de malade, son père a commencé à écrire un livre. Selon Teresa, il voulait mélanger ses expériences de patient en phase terminale à l'hôpital avec des souvenirs de sa vie, en particulier des histoires liées à son travail de journaliste. Par exemple, il a pensé à l'histoire d'une autre Teresa, Teresa Torga, une obscure actrice et chanteuse de fado souffrant de troubles mentaux, qui s'est déshabillée et s'est promenée nue, récitant des poèmes et chantant, dans l'une des rues les plus animées de Lisbonne, lors d'une manifestation.
Après la mort de son père, Tiago Rodrigues a ouvert le carnet. Il ne contenait que quelques lignes et points, quelques gribouillis, comme les dessins abstraits d'un enfant en bas âge.
Dans No Yogurt for the Dead, Tiago Rodrigues crée une pièce de théâtre pour imaginer ce que son père aurait pu souhaiter écrire dans les derniers jours de sa vie.
Entretien avec Tiago Rodrigues
No Yogurt for the Dead est basé sur le dernier épisode de la vie de votre père. Pourquoi avez-vous décidé de baser cette pièce sur une histoire aussi personnelle ?
Mon père Rogério a été journaliste pendant quarante ans. Lorsqu'il est entré à l'hôpital, peu avant sa mort, il m'a demandé de lui apporter un cahier. Il voulait documenter son expérience déshumanisante là-bas, ainsi que les histoires d'autres patients, de soignants et de visiteurs. Le journalisme était sa façon de mourir.
Il a écrit dans ce cahier pendant des heures et des heures. Mais lorsque je l'ai ouvert après sa mort, il ne contenait qu'un titre : Les morts ne mangent pas de yaourt. Tout le reste n'était que des gribouillis. Pas même des mots mal écrits, seulement des lignes, des streepkes comme on dit en néerlandais.
Quel article voulait-il écrire ? Était-il conscient que sa main était devenue un outil inutile ? Ce qui, pour mon père, devait être une énorme défaite. Ou peut-être vivait-il dans un monde imaginaire, pensant qu'il écrivait réellement ? Ces questions m'ont hanté pendant des semaines. Jusqu'à ce que je réalise que je devais terminer ce qu'il avait commencé. Non pas en tant que journaliste, mais en tant que créateur de théâtre.
La pièce est-elle un hommage à votre père ?
Nous mélangeons faits réels et fiction, je ne considère donc pas cela comme un hommage. La pièce vise avant tout à trouver de la chaleur, de l'humanité et même de la joie dans le souvenir des êtres chers. Le grand Heiner Müller a dit : « Quand nous faisons du théâtre, nous dialoguons avec les morts ». Pour cette pièce, je travaille avec mon père. De la même manière que j'ai travaillé auparavant avec Tchekhov, Tolstoï ou Virginia Woolf.
Comment décririez-vous votre père en tant que personne ?
(hésite) Il est né en 1947 et a grandi sous une dictature fasciste. Il a fui les persécutions de la police et a émigré en France. Son frère est mort pendant la guerre coloniale en Afrique. Il a grandi dans la pauvreté, dans un petit village... Tous ces événements lui ont donné un sens très fort de la loyauté, de l'honnêteté et du courage. Le fait que le reste du monde ne soit pas composé de personnes aussi honnêtes, presque héroïques, pouvait le rendre amer. Il était souvent introverti, sévère, mais il avait beaucoup de qualités. Il était notamment très cultivé et avait une grande culture générale.
Comment était votre relation avec lui ?
Nous avons parfois eu une relation difficile. Il n'était pas doué pour exprimer son amour, ce qui m'a rendu la vie difficile pendant mon enfance. Mon père appartenait à une génération pour laquelle l'expression des émotions n'était pas une priorité dans l'éducation.
Mais notre histoire est aussi celle d'une réconciliation. Je ne dirais pas que nous étions privilégiés, la situation générale était bien trop triste, mais je me sens chanceux que son séjour à l'hôpital nous ait donné l'occasion de régler nos différends passés. De réaliser que ce que nous pouvions détester l'un chez l'autre n'était que des détails. Nous avons pu poser les questions difficiles et je suis heureux que nous l'ayons fait. Après tout, accepter sa vie, ce qu'une personne mourante doit faire, est inimaginable.
La création de cette pièce vous ramène en Belgique. Un pays dont la scène artistique a marqué le début de votre carrière.
Oui, j'ai d'ailleurs eu un flashback il y a quelques jours lorsque je suis arrivé à Gand. En me promenant, je suis passé devant la salle Minard, où j'ai joué Point Blank dans les années 90 avec la troupe flamande STAN. C'était ma deuxième représentation en tant qu'acteur professionnel, je n'avais que 21 ans.
Le premier soir, la pièce avait déjà commencé, mais je n'étais pas dans la première scène. Je suis sorti deux fois en courant pour chercher ma petite amie qui venait du Portugal et qui était en retard. Je suis quand même arrivé à temps. C'était très peu professionnel, mais très romantique.
J'ai beaucoup travaillé avec STAN dans ma vingtaine. C'était ma véritable école de théâtre. J'ai même quitté l'école de théâtre de Lisbonne pour travailler avec le collectif, comme un enfant de village qui s'enfuit avec le cirque. La seule chose qu'on essayait de nous enseigner à Lisbonne, c'était comment domestiquer son corps et son esprit pour servir un metteur en scène. Je détestais ça et j'étais vraiment nul dans ce domaine.
Qu'est-ce qui vous a tant attiré chez tg STAN ?
Le caractère collectif de leur processus. Chaque acteur travaillant sur la pièce était autorisé non seulement à s'exprimer, mais aussi à s'approprier la pièce. STAN m'a également appris que l'amour du texte est une forme de liberté, et non une prison. Vous êtes autorisé à utiliser les mots des autres pour vous exprimer. Avec STAN, j'ai trouvé mon théâtre. Tout a enfin pris sens pour moi. Avant, j'aimais le théâtre, mais je détestais le pratiquer. Tout à coup, j'ai pris du plaisir.
Comment donnez-vous à vos acteurs suffisamment de liberté pour qu'ils puissent contribuer et s'exprimer ?
D'une part, j'écris pendant les répétitions. Ce que j'écris est inspiré par les acteurs, par leurs idées, leurs difficultés et leurs suggestions. En dehors des répétitions, je n'ai aucune discipline et aucun plaisir à écrire, je ne le fais même pas. Mais une fois que je commence à échanger et à expérimenter avec les comédiens, ma tête explose.
En tant que metteur en scène, je ne dis jamais aux comédiens ce qu'ils doivent faire exactement. J'écoute, je suggère et je propose des idées si personne d'autre n'en a. Mais c'est toujours un dialogue. Dans un espace de liberté et de contribution. Nous travaillons vers une imagination commune, pas seulement vers la mienne.
Source : Ntgent
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Comédie de Genèvepar RédactionPrésentation du spectacle
Critiques
24heures.chpar Natacha RosselTiago Rodrigues, ou comment conjurer la mort avec un yaourt
Le metteur en scène portugais donne à voir deux pièces sur la filiation, à la Comédie et à Vidy. Défenseur du récit, le directeur du Festival d’Avignon répond à nos questions.
Mouvementpar Agnès DopffTiago Rodrigues, le fils
Habité par la disparition d’un père, No Yogurt for the Dead aborde la fin de vie à travers une balade musicale en milieu hospitalier. Puisque l’issue ne fait pas de mystère, honorons le voyage.
Libérationpar Anne Diatkine«No Yogurt for the Dead», l’écrin fantôme de Tiago Rodrigues
Alternant parlé et chanté, la nouvelle création du metteur en scène, montée à Gand, se saisit du dernier carnet rempli par son père pour défier la mort.
(abonnés)
New York Timespar Laura CappellePutting His Father’s Final Words Onstage, With a Little Ambivalence
The Portuguese director Tiago Rodrigues’s latest show, “No Yogurt for the Dead,” is based on his dying father’s scribbles but resists sharing much emotion.
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