Sur tes traces

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Sur tes traces

Gurshad Shaheman, Dany Boudreault

Un Québécois et un Français d’origine iranienne se prêtent au jeu des portraits croisés. Dany Boudreault est né en milieu rural au Québec, Gurshad Shaheman a grandi en République islamique d’Iran. Chercheurs de l’intime, ils parcourent le territoire de l’autre et exhument délicatement leur passé à partir d’archives personnelles. À l’aide d’un casque audio, les spectateur·ices sélectionnent en direct laquelle de ces histoires iels souhaitent suivre, et peuvent à tout moment passer de l’une à l’autre. Ce dispositif se veut le reflet de notre monde saturé d’informations : chacun·e choisit ses sources selon ses opinions pour construire sa propre version du spectacle. Mais ici, les fragments s’emboîtent pour constituer des paysages à la croisée de trois continents, ravivant les mémoires individuelles et collectives. Par-delà les océans, les récits intimes et politiques s’entrelacent et cherchent à trouver un écho en chacun·e de nous. Un foisonnant théâtre des sens. 

Entretien - Gurshad Shaheman/Dany Boudreault

Vous êtes littéralement partis sur les traces l’un de l’autre, quel chemin chacun a-t-il suivi ?

Gurshad Shaheman : Nous avons initié le projet par un voyage commun à Sarajevo, en octobre 2022. Une ville qu’on ne connaissait pas et dont aucun ne parlait la langue. Nous avons été marqués par les stigmates de la guerre encore très présents et la séparation bien distincte entre partie turque et partie austro-hongroise qui illustrait en quelque sorte la nécessité de notre démarche l’un vers l’autre. Nous nous sommes racontés nos vies. Nous avons établi l’un pour l’autre une liste de personnes et de lieux à visiter. En juin 2023, nous avons calé nos voyages en même temps. Je suis parti à Montréal et au bord du lac Saint-Jean où Dany est né. J’ai rencontré ses collègues, ses amis et sa famille. Sa sœur m’a fait visiter l’ancienne ferme familiale. J’y étais au moment où le nord du Canada flambait, mon roadtrip avait l’odeur du feu de forêt. C’est entre le portrait de Dany et le carnet de voyage.
Dany Boudreault : Je suis allé à Lille, à Paris, à Toulon et en Turquie. J’ai longtemps essayé d’aller en Iran mais les relations diplomatiques sont très mauvaises avec le Canada, pas moyen non plus par Washington… Nous avons donc décidé que je me rendrai à la frontière turco iranienne et de voir en quoi cette impasse pouvait aussi être un levier d’écriture. J’ai été exposé à une véritable tour de Babel, j’avais un interprète en farsi pour parler avec l’oncle et les tantes de Gurshad, j’ai parlé allemand avec l’une d’elles, l’anglais avec un ancien amant… Ce pèlerinage vers l’Autre est aussi une manière de découvrir de nouveaux territoires, physiques et symboliques.

Tout cela fait beaucoup de matière ! Quel a été le processus d’écriture ?

DB : Énormément de matiè re ! Cela implique des choix, parfois difficiles. Mais à un moment donné, ces rencontres deviennent des éléments dramaturgiques : il est moins question de la place que la personne occupe dans notre vie et de l’intimité qui nous y relie que de l’équilibre global du texte. Le public aussi aura à choisir… de toute façon, on se trompe toujours sur ce qu’on n’a pas choisi !
GS : Nous nous sommes retrouvés trois semaines à Montréal pour défricher et établir un plan ensemble et nous avons écrit chacun de notre côté. Il s’agit de deux monologues, chacun s’adresse à l’autre, je lui raconte mon voyage et Dany pareil, simultanément. Les spectateurs sont munis d’un casque et choisissent qui écouter. Ils peuvent passer de l’un à l’autre mais quand ils se branchent sur moi je parle de Dany et inversement. Il y a des histoires qui sortent du lot, quand la tante de Dany me dit : il y a deux artistes dans la famille, Dany et son cousin thanatologue, et qu’elle me décrit tout ce qu’il est capable de faire d’un corps, c’est évident que ce récit est dans la pièce. La manière dont elle le raconte, la comparaison entre la thanatologie et le théâtre, art éphémère dans les deux cas …

Pourquoi ce choix d’avoir séparé les deux récits par une écoute sous casque ?

GS : Quand nous avons eu l’idée de ce spectacle, il y a trois ans, le monde était plus paisible : il n’y avait pas la guerre en Ukraine, Mahsa Amini n’avait pas été assassinée en Iran et la situation n’était pas la même à Gaza. Dans un monde qui se polarise de plus en plus, la perception de nos identités change malgré nous. Et Dany et moi, devons déjouer les étiquettes de nos origines : le Québec et l’Iran, l’Orient et l’Occident qui se regardent. On va me présenter plus volontiers comme Iranien que comme Français, parce que c’est le pôle le plus loin, la communication aime jouer sur cette opposition. Du coup nous avons choisi de mettre à mal cette binarité. De façon radicale et ludique, nous proposons aux spectatrices et spectateurs de choisir entre l’Orient et l’Occident. Mais quand tu choisis l’un, il te parle de l’autre. La démarche, c’est d’essayer de comprendre comment l’autre a été formé, ce qui l’a forgé… Avec le casque, il y a un effet d’intimité très fort.
DB : C’est aussi un spectacle sur les frontières, sur le privilège d’être mobile : dans un certain circuit on peut l’être, mais pas dans l’autre, pourquoi ? L’impossibilité que j’ai eu d’aller en Iran parle aussi de l’impossibilité de Gurshad d’y retourner.
GS : Puisque je ne peux pas y retourner, j’y envoie un ami mais même cette tentative se solde par un échec. Dany est allé en Turquie parce que l’azéri, ma langue maternelle, appartient au groupe des langues turques ; mon père ne peut finalement pas le rejoindre et Dany décide d’aller quand même jusqu’à la frontière iranienne qu’il ne peut pas franchir. Cela me touche beaucoup… Quand j’avais 11 ans, ma mère, tous les matins, faisait la queue devant l’ambassade de France pour son visa, ça a duré des mois : elle faisait la queue dans le simple espoir de pouvoir y entrer, même l’enceinte de l’ambassade de France nous était inaccessible. Le fait que Dany se retrouve dans cette situation, c’est très fort.

Peut-on parler du dispositif scénographique ?

GS : Le dispositif est frontal. Sur tes traces se déroule derrière un tulle dans une sorte d’appartement qui pourrait être celui de Sarajevo. Tous les murs sont en voilage. Plus on découvre la géographie de l’autre, plus on avance dans l’appartement, plus ça se dévoile. Rien n’est direct, tout est réminiscence, rejoué pour l’autre. Il y est aussi beaucoup question d’ombres : les ombres des personnes qui nous ont construits et qui revivent à travers nous. Nous sommes émetteurs du récit que nous avons écrit mais aussi support de projection pour les figures du récit de l’autre.

Voulez-vous ajouter quelque chose sur le sens du projet ?

DB : C’est une histoire de gémellité, de symétrie, il s’agit de voir en quoi nos douleurs chantent ensemble et comment on peut s’en consoler. Et c’est une déclaration d’amour. Quand on aime quelqu’un, on cherche toujours les affinités, mais c’est une illusion. Il faut embrasser les différences et arrêter d’être obsédés par les ressemblances.

Propos recueillis par Maïa Bouteillet, mars 2024.

Podcasts

  • France culture

    Gurshad Shaheman, auteur, metteur en scène et comédien a co écrit le spectacle "Sur tes traces" avec Dany Boudreault

    Gurshad Shaheman répète "Sur tes traces", plus de 10 ans après sa trilogie autobiographique "Pourama Pourama", il poursuit l'autofiction

Critiques

  • La Provence
    par Marie-Eve Barbier

    "Sur tes traces", un tour du monde théâtral et portrait intime

    Le Franco-Iranien Gurshad Shaheman et le Canadien Dany Boudreault brossent leur portrait croisé, une recherche formelle éblouissante et émouvante présentée aux Rencontres à l’échelle.

    (abonnés)
  • Bible Urbaine
    par Pierre-Alexandre Buisson

    Voici les clés

    Choisir, c’est renoncer. Voici un thème particulièrement omniprésent dans cette création conjointe de Dany Boudreault et Gurshad Shaheman, tout d’abord présentée au FTA l’an dernier et (heureusement!) reprise ces jours-ci dans les chaleureux locaux du Théâtre Prospero.

    Recommandation :
    ☆☆☆☆☆
  • Le Devoir
    par Christian Saint-Pierre

    «Sur tes traces»: les clés de ta vie

    Avant de quitter Sarajevo, une ville que certains estiment être un point de rencontre entre l’Orient et l’Occident, le Québécois Dany Boudreault et le Franco-Iranien Gurshad Shaheman font un pacte.

  • Fugues
    par Yves Lafontaine

    Sur tes traces… au Prospero

    Deux portraits en miroir, un voyage parsemé de différences et de ressemblances qui fondent et forment ce que sont des rencontres. 

  • leQuotidien
    par Marc-Antoine Côté

    Le Lac-Saint-Jean de Dany Boudreault est l’objet d’une enquête au théâtre

    Le Jeannois d’origine Dany Boudreault semble se plaire à prendre des risques, sur scène.

  • Mouvement
    par Aïnhoa Jean-Calmettes

    Vis ma vie

    Fruit d’une enquête et d’une réécriture mutuelles, Sur tes traces est une autobiographie dans l’œil de l’autre autant qu’une affirmation des forces de l’amitié.

  • L'Œil d'Olivier
    par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore

    Sur tes traces, le tendre puzzle de Gurshad Shaheman et Dany Boudreault

    Dans le cadre du Festival d'Automne, les deux artistes portent un spectacle sensible dans lequel ils brossent mutuellement leur portrait.

  • Le Monde
    par Joëlle Gayot

    Un spectacle tributaire de la technique, pour le meilleur et pour le pire

    Elle n’est pas si courante, l’association d’artistes qui partagent la scène à parts égales sans que l’un prenne le pas sur l’autre.

  • Télérama
    par Kilian Orain

    Sur tes traces”, une passionnante enquête en miroir à l’astucieuse mise en scène

    Peut-on vraiment connaître quelqu’un ? Deux comédiens font chacun le portrait de l’autre, et le spectateur écoute qui il veut.

    (abonnés)
  • Rtbf
    par Louis Thiébaut

    Le récit croisé intime de Dany Boudreault et Gurshad Shaheman

    Pour la première fois invités au Kunstenfestivaldesarts, Dany Boudreault et Gurshad Shaheman nous offrent, au théâtre Les Tanneurs, la possibilité de découvrir leurs archives personnelles dans une performance aux allures de carnet de voyage.

Calendrier des représentations

Le Lieu Unique | Nantes

mer.26nov. 2025
jeu.27nov. 2025

Le Quai - Angers | Angers

mer.03déc. 2025
jeu.04déc. 2025
ven.05déc. 2025

CCAM - Centre Culturel André Malraux | Vandoeuvre-lès-Nancy

mar.13janv. 2026
mer.14janv. 2026

La Filature, Scène nationale de Mulhouse | Mulhouse

sam.17janv. 2026
lun.19janv. 2026
mar.20janv. 2026
  • La Criée | Marseille
    04 juin > 06 juin 2025
  • Le Manège Maubeuge | Maubeuge
    29 avr. > 30 avr. 2025
  • Théâtre Prospero | Montréal
    04 févr. > 22 févr. 2025
  • Théâtre de la Croix-Rousse | Lyon
    09 oct. > 11 oct. 2024
  • Théâtre de la Bastille | Paris
    23 sept. > 04 oct. 2024
  • Le Phénix Scène Nationale | Valenciennes
    29 avr. 2025
  • Kinneksbond | Mamer
    07 mai 2025