

Libido sciendi
Deux danseurs, Nina Santes et Kévin Jean, pénètrent sur la scène, se dévêtent de leurs jeans et tee-shirts et commencent par se fondre dans un baiser. Cette ouverture est le prélude d’un accouplement chorégraphique, qui met en relation toutes les parties du corps entre elles. Deux corps nus sous la lumière, sans aucun accompagnement musical, sinon les respirations et le dialogue sonore des peaux.
Violence suprême de l’art qui entame la condition humaine à l’endroit de son plus profond secret, Libido Sciendi, conçu et dirigé par Pascal Rambert, est un traité littéral sur le désir érotique, une pure écriture du corps au service de la danse seule. Le rapport sensuel extrême au corps de l’autre surgit la figure d’un corps intérieur frémissant de désir, dévorant, absolu. Au lieu d’un rapport uniquement sexuel, l’entièreté du corps. La pornographie n’intéresse pas Pascal Rambert, qui la juge dépourvue d’imaginaire. Il veut montrer le rapport érotique à la vie. « J’ai l’impression de faire un spectacle religieux, cela m’intrigue. »
Libido Sciendi signifie à la fois “j’apprends par le sexe” et “je suis enseigné par la sexualité”. Le spectacle
est moins l’occasion de voir que celle d’apprendre.
Une écriture du corps
Je ne suis pas chorégraphe. Je travaille depuis 20 ans avec des danseurs contemporains. Donc l’acte d’agir sur des corps m’est à la fois familier et quotidien mais non reconnu socialement. Ce qui n’est pas un problème. C’est même une joie. Mais qui donne envie justement d’isoler une écriture du corps en la mettant uniquement au service de la danse. De la danse seule. Du corps seul. Hors des mots.
J’envisage un mois et demi de travail d’atelier. J’emploie volontiers ce terme car j’ai besoin de regarder.
De voir comment ça marche. De suivre par où ça passe.
Au théâtre désormais je vais vite. Ici je veux re-prendre mon temps. Comme un jeune chorégraphe.
Comme si je ne savais rien. Ou comme si je voulais oublier. Me taire, m’asseoir dans le studio et regarder. Pendant plusieurs semaines.
Puis je crée la pièce dans les derniers jours. Afin qu’elle soit fraîche. Très vivante. Ré-écrite chaque soir en temps réel. Se co-écrivant chaque soir entre l’écriture “arrêtée” durant les répétitions et ce que je pratique toujours au théâtre : l’écriture en temps réel de la pièce. Ré-inventée vraiment chaque soir.
Je vais travailler sur comment on embrasse avec la langue. Sur la modification visible à l’œil nu des peaux par le frisson. Je vais établir un séquençage précis de la relation sexuelle. Début. Milieu. Fin. De façon clinique et sensuelle. Un peu à la manière de Damien Hirst quand il découpe par blocs une vache ou un requin. La pointe des seins. La bouche au contact de la peau. L’humidification. Je vais établir tous les possibles en mettant en présence ce qui ne se rencontre pas : bouche–orteils, bouche-talons, bouche-genoux, bouche-sexe, sexe-sexe, sexe-sein, sein-orteils, orteils-oreille, oreille-testicules, testicules-bouche, bouche-ventre, ventre-fesses, fesses dessus, fesses dessous, dessous, dessus, à coté, etc.
A cela s’accroche progressivement l’acte de dévoration. D’écrasement par le corps. De piétinement. De foulage. D’étouffement. De pénétration. D’enfoncement. De déformation. D’affrontement.
D’affrontement par le coït. La jouissance. Qui rend parfois le corps comme un arc. Tendu. Détendu.
Je sens aussi travailler beaucoup sur le léger, l’apesanteur qui suit. Les jambes coupées. Le plus rien.
Le silence.
Ou dans un total autre sens. Peut-être fin milieu début. Ou milieu début fin. Je ne sais pas. Je verrais ce que commandera la pièce.
En tous cas je ne serais pas dans un ordre narratif voire strictement chronologique de l’acte sexuel.
On comprend alors que l’on a à faire à trois ou quatre motifs pétris et travaillés jusqu’à l’épuisement du motif lui même dans le motif suivant.
Il faut donc accumuler beaucoup de matière en studio. Pour cela il faut prendre du temps afin que l’état de corps du danseur ne soit qu’imagination flexible.
Et preuve vivante de présent.
Pascal Rambert, 22 décembre 2007
Critiques
- Un fauteuil pour l'orchestrepar Florent Mirandole
Rarement le désir aura été raconté avec autant de force
Une femme nue escalade le corps de son partenaire, et semble l’étouffer sous son poids, pour redescendre le long de son corps.
Recommandation :ff - La Librepar Marie Baudet
De la conjonction des contraires
Pascal Rambert n'est pas chorégraphe. Mais travaille avec des danseurs depuis vingt ans.
Archives des représentations
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Théâtre des Bouffes du Nord
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Paris
19 juin > 20 juin 2015
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Théâtre de Vanves
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Vanves
04 avr. 2015