

OVNI
Intentions de mise en scène
Le respect des personnages
Dès le début de la pièce, dans la lettre retransmise au public, Ivan Viripaev nous met en garde : qu’on croit ou pas aux récits de ces évènements importe peu ; l’essentiel est la perception qu’en ont eue les protagonistes et ce qui nous arrive à nous, spectateurs, lorsque nous entrons en relation avec ces témoignages. Le mot d’ordre est donné, aussi extraordinaires, drôles ou poignants soient-ils, pas question ici d’ironiser ou de contourner avec scepticisme les propos rapportés. Sans se départir de l’humour, du naturel, du recul même qu’ont les personnages sur eux-mêmes et sur ce qu’ils partagent, sans bouder notre plaisir à les voir se reprendre, s’emmêler les pinceaux, blaguer, bref, sans nous prendre plus au sérieux que Viripaev lui-même, nous travaillons avec les acteurs à une incarnation intime et réaliste des personnages. Nous cherchons leurs nuances, leur profondeur, leur chair. Sans être des héros ou des sages, sans prendre leur intervention comme parole divine, nous donnons du crédit à leur témoignage, partant du principe que si l’on n’y adhère pas, eux du moins sont de bonne foi.
« Et j’espère vivement qu'en travaillant sur ce spectacle, les comédiens traiteront les personnes dont ils vont parler avec respect parce qu'à vrai dire, ce n'est pas du tout important de savoir si ces personnes ont ou n'ont pas rencontré des extraterrestres ou s'il s'agit d'une invention de leur part. Ce n'est pas important. Parce ce que ce qui est important, à vrai dire, c'est le fait qu'un individu qui vit sur la planète terre, accepte de partager avec d'autres personnes ses visions de la vie les plus intimes. » (Lettre de Viripaev, Ovni)
Dix petits univers…
…portés par une distribution de cinq acteurs, deux femmes et trois hommes, incarnant chacun deux personnages. Pour accompagner la plongée dans l’existence de ces dix êtres, nous veillons à leur donner une réalité palpable, une contemporanéité identifiable, qui aident le spectateur à pénétrer dans cet « Ovni » par la subjectivité des personnages. La scénographie, les costumes, le jeu des acteurs tendent vers cette caractérisation. Un peu à la manière de l’émission Strip-Tease, mais avec une caméra imaginaire, nous les suivons chacun dans leur univers : on se raconte que Viripaev, l’enquêteur, est déjà chez eux depuis plusieurs jours, les interviewés évoluent tranquillement dans leur cuisine, leur chambre... Ils ne sont pas cloués sur une chaise, prêts à témoigner pour un flic, les menottes aux poignets.
« Salut, je suis Nick Scott. J'ai vingt-sept ans. Je vis à Detroit. Aux USA. J'ai vingt-sept ans. Je travaille comme coursier chez USPS. Je livre différents colis dans les maisons et les bureaux. Mais en fait, je joue dans un groupe de rock. C'est ça ma principale occupation. Je suis musicien, je joue avec une bande qui s'appelle « Blue helicopter flying up ». D'ailleurs si ça vous dit, je peux vous mettre un track. Mais là, si je pige bien, faudrait que je passe direct à notre affaire, correct ? Au récit captivant de comment j'ai rencontré des extraterrestres ». (Nick, Ovni)
Entre les monologues
La parole est dense, les témoignages se succèdent sans se rencontrer. Un des défis de la mise en scène est de réussir à renouveler à chaque fois l’attention du public qui, après s’être familiarisé avec un personnage, doit le quitter définitivement pour en rencontrer un nouveau. Les transitions d’une scène à une autre, d’une importance considérable pour l’âme du spectacle, ont différentes missions :
• faire exploser l’intime, l’infiniment petit de ces récits par de la musique et des vidéos cosmiques. A titre d’exemple, de la musique électro de Flavien Berger aux sonates de Vivaldi, nous utilisons des morceaux, qui évoquent toutes ce « sacré contact ». En termes d’images, les blockbusters de l’espace, mais aussi des films plus profonds et contemplatifs des réalisateurs comme Stanley Kubrick et Terrence Malick sont des sources d’inspiration.
• de la même manière, passer du décorticage de la parole à un éclatement des corps et de l’espace, avec de la danse, individuelle ou chorale, toujours en relation avec les récits délivrés ; Un des leitmotivs des personnages, par exemple, est l’union invisible des êtres entre eux et leur participation collective à la création. En cela, un mouvement chorégraphique est un canal extrêmement limpide pour que le spectateur ressente ce lien entre les êtres et à la force créatrice.
C’est une façon d’ouvrir une autre porte, de faire appel à d’autres sensations, que le théâtre rend possibles, pour tenter d’attraper ce que Viripaev nous propose, cette densité, ce kaléidoscope incroyable de l’humanité. Pas question ici de jouer au plus malin, de noyer le poisson ou de tenter de dissimuler l’envergure de ce qui est raconté. Au contraire, la scénographie, la vidéo, la musique, la danse sont des moyens en plus pour rentrer dans le lard de cet Ovni et en aspirer le plus de moelle possible.
Note d’intention scénographique par Natacha Markoff
Les témoins d’« Ovni » viennent des quatre coins du monde. Apparemment, les expériences extraordinaires sont rares mais peuvent arriver à n’importe qui, quel que soit son âge, sa condition sociale, son sexe ou sa situation géographique. Il semblerait que le doigt du hasard peut tomber n’importe où.
Comme on regarderait la terre vue du ciel, un point soudain s’éclaire, on zoome sur lui. On rentre dans son intimité, on l’écoute. Puis on dézoome. Vue d’ensemble avant de repartir ailleurs, et se concentrer sur un autre point.
Comment traduire scéniquement ces mouvements ? Le plateau du théâtre représente le monde. C’est une accumulation de meubles et d’objets qui, vus ensemble, sous une certaine lumière, peuvent apparaître comme une maison-monde. Quand tour à tour les comédiens investissent un coin de l’espace, ils redonnent leur mesure aux objets qui les environnent. La lumière se concentre sur eux. Chacun témoigne dans la matérialité de son quotidien, ce qui fait contraste avec la tentative d’exprimer l’immatériel.
Note d’intention création vidéo
« En arrière-plan de la maison-monde obtenue sur scène par accumulation de meubles et d’objets glanés par Natacha Markoff, une projection sur un grand rideau de lamelles permet tantôt de jouer sur les rapports d’échelles, tantôt de projeter un univers visuel en lien avec le cosmos, avec l’évocation d’infini et de transcendance.
Cela se propage entre chaque scène, en contrepoint du quotidien de chacun des personnages que l’on rencontre dans la pièce d’Ivan Viripaev.
Accompagné souvent mais pas systématiquement de chorégraphies, ces séquences vidéo permettent tout autant de créer une respiration entre chaque scène, qu’une évasion au-delà des carottages dans la fine croûte de notre monde que chaque personnage et son contexte constitue scène après scène...
Suggestion de visions cosmiques et/ou spirituelles : réaliste (voie lactée...), abstraite (directions de lumières...), voir purement imaginaire (OVNI et par extension divers objets et formes « non encore identifiées »...) le spectateur est embarqué dans un grand voyage dont il ne peut soupçonner à l’avance ni la trajectoire ni les surprises qu’il réserve.
L’univers sonore et musical qui accompagne ce voyage visuel est aussi déterminant pour évoquer avec saveur l’expérience mystique de chacun des personnages et finalement celle que l’auteur tente de provoquer chez le spectateur lui-même ! »
Critiques
- Scenewebpar Igor Hansen-Løve
OVNI : l’objet théâtral non identifié
Éléonore Joncquez s’empare du texte de l’auteur russe Ivan Viripaev. Portée par d’excellents acteurs, cette pièce sur les expériences extraordinaires est d’une drôlerie réjouissante.
- La Terrassepar Agnès Santi
Voyages cosmicomiques au centre de soi
Judicieusement, chaque personnage est installé dans un élément de décor qui caractérise son quotidien, sa subjectivité, son intimité.
- L'Œil d'Olivierpar Olivier Frégaville-Gratian d'Amore
Aux frontières du réel
À la Tempête, Éléonore Joncquez s'empare avec sensibilité et folie douce d'Ovni d'Ivan Viripaev.
- Théâtre du blogpar Philippe du Vignal
Rigueur, précision, humour et fantaisie
Comme Ivan Viripaev le dit en voix off au début du spectacle, il aurait gardé dix de ces témoignages que la metteuse en scène a confié à quatre acteurs et à elle-même.
Archives des représentations
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Le Reflet - Théâtre de Vevey
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Vevey
08 mai 2025