
Finir en beauté
À partir d’interviews, de courriels, de SMS, de documents administratifs et d’autres sources « réelles », Mohamed El Khatib construit seul en scène le récit d’un deuil, celui de la mort de la mère. Une « fiction documentaire » autour de la question des écritures de l’intime, pour une exploration des modalités de dialogue à partir de la notion de « débris » : débris de tout ce qui restera de nous («nous» étant ici une mère et un fils après un événement définitif comme la mort), débris de langue maternelle, débris de langue théâtrale, débris d’écriture…
Note d’intention par Mohamed El Khatib
De même que je n’ai jamais pu dissocier mon écriture du plateau, je n’ai jamais pu éviter d’apporter le réel tant sur scène que dans mon travail d’auteur. Dans mon théâtre, le document est un atout, un outil, l’essence même de ce qui va faire écriture et représentations. C’est le cas avec Moi, Corinne Dadat, pièce où je fais participer réellement une femme de ménage rencontrée par hasard. Ici, avec Finir en beauté, cette logique est poussée à son paroxysme puisque le matériau principal tient à un événement à la fois exceptionnel et banal, en tous cas universel et totalement privé : celui de la mort de ma mère.
Dès lors, j’ai reconstruit une sorte de journal écrit – en partie sur des carnets – à partir du 20 février 2012, jour de la mort de ma mère.
À débuté alors un travail de mémoire, de deuil, qui s’attache à revisiter les lieux et le paysage après la bataille… Un travail en forme d’introspection mais surtout d’observation et de captation du réel afin de faire ressurgir des détails, des impressions, des souvenirs : il n’y a plus d’intermédiaires entre l’auteur, sa vie, son écriture et le spectateur.
S’engage ainsi une conversation intime avec ma propre vie, mais aussi avec le médium théâtre lui-même : sans jamais avoir abordé jusqu’à présent frontalement l’autoportrait, ni m’être mis directement en scène, j’ai cette fois franchi le cap du plateau pour porter moi-même ce récit dans une dimension dès lors performative et singulière ; le temps d’une représentation, d’une communion pour partager avec un public cette parole fragile sur la question universelle du deuil. J’avais écrit dans mon premier texte, À l’abri de rien, que le monde se divise en deux parties égales, ceux qui ont perdu leur mère et ceux qui vont avoir mal de la perdre.
Je partagerai cette expérience intime du deuil dont chacun pourra trouver un écho personnel.
Au départ était la question de la langue maternelle – l’arabe – qui s’est par ailleurs révélée une barrière supplémentaire face à une langue médicale elle-même « étrangère ».
Et là, très rapidement, un constat s’est imposé : à peine entamée, ma recherche s’est éloignée du chemin tracé ; en lieu et place du dialogue entre une mère et un fils, je me suis trouvé confronté à l’héritage de cette langue-mère qui n’est plus vivante. C’est alors, à travers le deuil, que j’ai redécouvert cette incarnation des deux cultures de part et d’autre de la Méditerranée.
Finir en beauté est donc une expérience à la première personne, où l’esthétique du retranchement domine : disparition des personnages, des codes d’écriture, de la narration classique ; la parole est livrée en prise directe avec l’auditeur. Il s’agirait d’un essai ou d’une expérience théâtrale où quelques figures traversent bien le paysage esquissé de cette fresque familiale, mais où l’actrice principale demeure la mère absente.
Je combine un récit autobiographique avec des éléments fictionnels, des éléments importés de la réalité que je redessine, recompose au fil de ce journal. C’est ainsi que je me mets en scène dans les conditions du réel tout en assumant une part de fabulation. Concevoir l’œuvre comme fragment, c’est la possibilité d’organiser une histoire en interrogation, en recherche constante et laisser de l’espace à l’autre. J’ai souhaité une réalité trouée, friable et infiniment plus mystérieuse que n’importe quelle histoire inventée, pour permettre la coexistence et l’interpénétration réciproque du réel et de la fiction.
Pour interroger les regards qui se concentrent sur cet événement-limite, j’utilise l’ensemble des réflexions, anecdotes, témoignages, condoléances qui me sont parvenus, par différentes voies de communication. J’ai également traduit de l’arabe au français avec ce que cela implique de déperdition, de trous – l’intégralité des conversations enregistrées les 12 derniers mois avec ma mère, à l’hôpital où elle s’est éteinte. La texture sonore donne à entendre les mots et le déclin physique de l’émission même de la parole.
D’autre part, j’ai écrit une série de micro-récits, à la manière d’une caméra subjective. Des éléments qui permettent également d’insuffler distance et légèreté, désamorçant par là même toute forme de lamento pathétique.
Ces matériaux hétérogènes permettent d’aborder le récit sous différents angles comme autant de prismes de distanciation qui contribuent à rendre ce deuil non plus « anecdotique » mais partageable par tous.
Passage à l’acte scénique : l’auteur en scène
L'objet scénique Finir en beauté tentera de faire participer d’une même structure des éléments qui relèvent du documentaire, de la fiction, de l’oratorio.
Au même titre que les différents matériaux utilisés ont été dépouillés, l’espace scénique l’est également. La chronologie vient ici rythmer la proposition en faisant se heurter différents espace-temps dans une même structure. Peuvent ainsi se côtoyer le temps long d’une relation et celui, éclair, de l’arrivée d’un SMS en temps réel.
Cet espace, dans lequel s’inscrit le corps de l’auteur avec ses outils de travail, des feuilles, un enregistreur, fonctionne comme le réceptacle vierge d’une expérience qui laissera des traces… de texte, de photographie, d’image, qui viendront comme autant de strates successives pour approfondir ce traitement du deuil…
Le geste de ce témoignage artistique prend ici les allures d’une confidence intime livrée au spectateur dans un rapport frontal direct. Ce travail de réparation symbolique envers les morts ne peut s’effectuer que dans une certaine proximité entre les spectateurs et le récitant.
Un projet également éditorial
Finir en beauté est une fiction documentaire en deux mouvements : une performance et un « livre », pièce en 1 acte de décès. Ce même geste permet ainsi de partager cette expérience via deux temporalités différentes.
Après le caractère éphémère de la représentation, l’objet littéraire propose une traversée au temps long, une trace que chaque lecteur pourra explorer à son rythme.
Ce livre, s’il contient l’essentiel des éléments présents dans la performance, offre surtout d’autres prolongements sur cette question du deuil. Cet ouvrage sculpté convoque différents matériaux d’ordre textuel, typographique et plastique. Les documents administratifs, les photographies, la texture même des pages viennent offrir une perspective sensible à cette vision du deuil.
Une partie du projet ayant été élaborée sur la base d’enregistrements, un ensemble sonore accompagne cette production. Cette « bande originale » (audible sur finirenbeaute.org) composée de cartes postales sonores prises lors des différents moments qui ont jalonné cette expérience : on y entend l’arabe de ma mère, les balbutiements du médecin ne sachant annoncer la mort, des chants religieux, et autres textures sonores dans lesquelles j’ai baigné tout au long de ce deuil.
Podcasts
France culturepar L'Atelier fiction"Finir en beauté" de Mohamed El Khatib
"Je n’ai pas toujours demandé les autorisations utiles. Je ne me suis pas posé la question de la limite, de la décence, de la pudeur."
Critiques
Les Inrockspar Patrick Sourd“Finir en beauté” l’émouvant hommage à une mère
Mohamed El Khatib s’est installé au Grand Palais jusqu’au 29 juin, avec “Le Grand Palais de ma mère”. L’occasion de revoir sa sublime pièce “Finir en beauté”. Un seul en scènes sur les derniers jours de sa mère.
(abonnés)
La Provencepar Daniele Carraz"Finir en beauté" - la vraie vie en partage
Pourquoi Mohamed El Khatib, par ailleurs dans le In avec « la vie secrète des vieux », donne-t-il en mains propres, à chaque spectateur, lors de la reprise de son spectacle « Finir en beauté », une photocopie de l’acte de décès de sa mère, le 20 février 2012 et de son acte de naissance le 14 mai 1980 ?
Carnet d'Artpar Anne-Bénédicte LebeauCommunion funèbre.
Une petite communauté de spectateurs – de témoins ? De voyeurs ? – prennent place en circulaire : la veille mortuaire commence.
Ni oraison, ni élégie, c’est bien d’une veille dont il est question.
Rtbfpar Christian JadeUn amour filial lucide, tempéré d'humour
La mort (d’une mère, par exemple), le deuil : un champ de mines pour lieux communs un peu boursouflés, de bonne ou mauvaise conscience. On en est tous là : comment résister à un bouleversement intime, comment faire face ?
Théâtre du blogpar Philippe du VignalMohamed El Khatib raconte cette fin dramatique
Créée en 2014 au festival Actoral à Marseille, puis invitée par Arthur Nauziciel à Orléans, reprise l’an passé dans le off d’Avignon, Finir en beauté est la troisième pièce de cet auteur franco-marocain de 35 ans qui a vécu toute son enfance à Beaugency.
Libérationpar Didier PéronMohamed El Khatib, chant du départ
L’auteur-acteur, dans «Finir en beauté», revient sur l’agonie de sa mère.
Le Mondepar Brigitte SalinoReprise : « Finir en beauté » au Centre Wallonie-Bruxelles
Très remarquée dans le « off » d’Avignon en 2015, la pièce de Mohamed El Khatib se joue à Paris, pour une seule soirée, le 25 mars.
Les Trois coupspar Alicia DoreyDrôle de deuil
Sous forme d’une fiction-documentaire incroyablement drôle et émouvante, il transforme un évènement brutal et définitif en matériau de création infini.
Archives des représentations
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Grand Palais
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Paris
24 juin > 26 juin 2025
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Théâtre de Grasse
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Grasse
04 avr. > 05 avr. 2025
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La Manufacture
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Avignon
15 juil. > 20 juil. 2024
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La Comédie de Clermont-Ferrand
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Clermont-Ferrand
13 mars > 15 mars 2024
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Theatro de Recife
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Recife
07 oct. > 08 oct. 2023
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GREC Festival de Barcelona
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Barcelone
06 juil. > 07 juil. 2021
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Le Vivat
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Armentières
01 févr. > 01 févr. 2021
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Les Quinconces-L'Espal
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Le Mans
28 mars > 30 mars 2019
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Teatro Municipal do Porto
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Porto
06 déc. > 07 déc. 2018
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Domaine d'O
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Montpellier
15 nov. > 16 nov. 2018
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La Comédie de Saint-Étienne
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Saint-Etienne
02 mai > 03 mai 2018
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TNB
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Rennes
12 mars > 22 mars 2018
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Maison de la Culture de Bourges
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Bourges
22 janv. > 25 janv. 2018
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CDNOI
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Saint-Denis de La Réunion
05 déc. > 07 déc. 2017
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Théâtre des Bergeries
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Noisy-le-Sec
03 mars > 04 mars 2017
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Théâtre du Beauvaisis
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Beauvais
01 mars > 02 mars 2017
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Teatro Nacional Dona Maria II
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Lisbonne
18 févr. > 26 févr. 2017
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L'Onde Théâtre Centre d'Art
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Vélizy-Villacoublay
02 févr. > 03 févr. 2017
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Scène Nationale de l'Essonne, Agora - Desnos
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Évry
31 janv. > 01 févr. 2017
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TAP – Théâtre Auditorium de Poitiers
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Poitiers
02 nov. > 05 nov. 2016
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Théâtre Anne de Bretagne (TAB)
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Vannes
18 oct. > 19 oct. 2016
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CDN de Normandie - Rouen
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Rouen
11 oct. > 15 oct. 2016
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Festival Seuls en scène
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Princeton
25 sept. > 27 sept. 2016
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Théâtre Vidy-Lausanne
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Lausanne
28 mai > 29 mai 2016
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Le Rideau
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Bruxelles
01 mars > 04 mars 2016
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Théâtre d'Arles
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Arles
15 déc. > 16 déc. 2015
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Théâtre de la Cité internationale
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Paris
28 sept. > 23 oct. 2015
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CDN Orléans / Centre-Val de Loire
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Orléans
02 févr. > 11 févr. 2015
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La Rose des Vents
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Villeneuve-d'Ascq
27 janv. > 29 janv. 2015
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Théâtre d'Arras
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Arras
12 janv. > 13 janv. 2015
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Théâtre Jean Lurçat - Scène nationale d'Aubusson
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Aubusson
11 avr. 2019
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Espace Malraux
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Chambéry
15 févr. 2024
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Scènes de Territoires
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Le Bois de l'Aune
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Aix-en-Provence
03 déc. 2015
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Théâtre de la Ville - Paris
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Paris
11 sept. 2017
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Crossing The Line Festival
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New York
22 sept. 2018
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Théâtre de Vanves
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Vanves
19 mars 2015
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Romaeuropa Festival
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09 nov. 2025
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Saint-Etienne-du-Rouvray
13 janv. 2017
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Bergen International Festival
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Bergen
01 juin 2025
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Châteauvallon - Scène nationale
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Ollioules
27 janv. 2017