
Face à la mère
Une mère, morte tragiquement dans un pays violent et déraisonnable. Et un fils, celui qui par delà les années et les océans, convoque enfin sa mémoire pour lui confier, dans un entretien différé, tout ce qui, entre eux, n’a jamais été dit.
Pour évoquer les liens du sang, les conflits et l’exil, le chaos et la démesure, il fallait la grâce de la plume de Jean-René Lemoine. Il fallait aussi, pour donner une voix nouvelle à ce monologue édité il y a quinze ans, la créativité scénique de l’immense Guy Cassiers, magicien des images.
Leur association donne un spectacle puissant et digne, qui,de l’intime à l’universel, touche profondément et élève chacun.
Guy Cassiers autour de Face à la mère
Atteindre l’universel des relations filiales
Comment avez-vous découvert le texte de Jean-René Lemoine et qu’est-ce qui vous a séduit ?
C’est Hortense Archambault, la directrice de la MC93, qui m’a proposé de le lire en pensant qu’il pouvait m’intéresser. J’ai d’abord été séduit par sa qualité littéraire. J’ai lu la pièce traduite en flamand et la pièce originelle en français avec un grand étonnement car je ne connaissais pas du tout l’histoire d’Haïti et de ses rapports historiquement conflictuels avec la France, son ancien colonisateur, à qui les Haïtiens ont dû payer le prix de leur indépendance pendant plusieurs décennies. Je n’avais qu’une vague idée de la situation catastrophique de ce pays aujourd’hui, de la violence qui s’y développe, de la misère dans laquelle vit une grande partie de la population et j’en ai ressenti une certaine culpabilité. Cela m’a replongé dans les rapports que la Belgique a entretenus et entretient encore avec son ancienne colonie africaine du Congo. Là aussi, une colonisation terrible, violente, dont le seul but était l’enrichissement du roi Léopold Ier, à qui le Congo appartenait à titre personnel avant qu’il ne le lègue à la Belgique par testament. Nous aussi avons une amnésie temporaire face à notre histoire de colonisateurs.
Mais le texte de Jean-René Lemoine n’est pas un document historique ou un pamphlet politique. C’est avant tout le récit d’une relation mère-fils complexe qui ressurgit dans l’esprit du fils après la mort de la mère. Le texte évoque aussi bien les incompréhensions, les conflits, le poids de la distance et de l’exil, que les souvenirs heureux, l’admiration mutuelle, la force de l’amour qui relie le fils à sa mère. C’est une très belle déclaration d’amour, nourrie d’un désir de réconciliation et porteuse d’espoir. De plus, Jean-René Lemoine dépasse cette histoire personnelle pour atteindre l’universel des relations filiales. C’est là la force de ce texte bouleversant.
Quel chemin emprunte Jean-René Lemoine pour reconstruire cette histoire douloureuse et mouvementée ?
C’est là tout l’intérêt de ce texte. Il ne s’agit pas d’un trajet linéaire, avec des jalons historiques établissant une chronologie des faits. C’est un vrai parcours de recherche de soi, avec différents niveaux de lecture possibles. L’auteur joue avec le temps, dialoguant avec sa mère, dialoguant avec lui-même dans un soliloque qui chemine dans la mémoire, faisant ressortir les oublis, les dissimulations, les non-dits. Reconstitution en patchwork d’une vie entière, le texte est comme un guide pour savoir où l’auteur en est avec sa propre histoire. Cette histoire intime faite d’allers-retours résonne en chacun de nous tant elle évoque dans sa brillante construction la complexité des relations filiales. Dans ce qu’elles ont de plus sombre et surtout de plus beau.
Vous tenez à faire entendre cette multiplicité des échanges entre le narrateur et lui-même ?
C’est un des axes essentiels de mon travail. Il faut faire bouger l’espace de représentation pour que le spectateur perçoive, sans que ce soit illustratif, le sentiment de ce voyage d’un enfant dans des univers si divers, et ce sera un minutieux travail sur les lumières avec des jeux de miroirs. Mais aussi, et en même temps, faire entendre la polyphonie des voix qui caractérise ce travail d’introspection. Le narrateur se parle à lui-même, parle à sa mère, se questionne, la questionne. C’est là qu’on doit imaginer un travail sur le son pour rendre ces différents niveaux de réflexion et de parole. Le plateau est la chambre mentale dont les dimensions varient en fonction du parcours introspectif du narrateur. Cette diversité d’images et de sons doit aussi permettre au spectateur de créer son propre parcours au milieu des aventures racontées.
Jean-René Lemoine est l’auteur du texte, il en a été le metteur en scène et l’interprète à la création en 2006 à la MC93. Pourquoi lui demander de redevenir interprète dans votre mise en scène ?
Ce n’était pas prévu dès l’origine du projet mais Hortense Archambault nous a conseillé de nous rencontrer pour en parler. Nous nous sommes donc retrouvés à Anvers en 2023 pour des séances de travail sur plusieurs jours et voir ce que nous pouvions nous apporter. Et presque immédiatement il a été évident que Jean-René devait jouer son propre rôle, cela ne faisait aucun doute pour moi et je l’ai convaincu. Il est l’acteur, je suis le metteur en scène mais nous avons construit le spectacle ensemble.
Propos recueillis par Jean-François Perrier en mai 2024.
Critiques
Le club Mediapartpar Guillaume LasserreLe chant d’adieu à la mère
Monologue déchirant, « Face à la mère » est aussi un dialogue fictionnel entre un fils et sa mère défunte, une liturgie du deuil et de la résilience, une œuvre d’art à part entière.
Les Inrockspar Fabienne Arvers“Face à la mère” : Guy Cassiers revisite sa pièce vingt ans après
Le chagrin ; une falaise menaçante que les larmes, pourtant, parviennent à éroder. Infinie est la délicatesse avec laquelle les mots et la voix de Jean-René Lemoine s’attaquent au...
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L'Humanitépar Samuel Gleyze-EstebanUn monologue endeuillé dans la violence d’Haïti
Guy Cassiers met en scène Jean-René Lemoine dans Face à la mère, monologue endeuillé créé par l’auteur lui-même en 2006 et réactivé à la lumière de la violence en Haïti.
Le Mondepar Joëlle Gayot« Face à la mère », un spectacle qui défie le chaos en beauté
L’acteur et auteur Jean-René Lemoine interprète son texte écrit il y a dix-huit ans, porté par une mise en scène étourdissante qui multiplie les visions.
Webtheatrepar Véronique HotteLe bel éclairage de l’amour salvateur d’un fils pour sa mère
Premier objet d’amour, la figure de la mère est valorisée unanimement ; les autres attachements ne prennent sens que depuis cet élan initial liant la mère et son enfant.
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Théâtre du blogpar Christine FriedelDebout, seul au centre de la scène
Enfance, adolescence : il va les chercher avec courage, les ramener au jour, en ressentir les tourments.
Téléramapar Emmanuelle Bouchez“Face à la mère”, le long poème d’amour de Jean-René Lemoine à sa mère
Jean-René Lemoine reprend le monologue d’adieu qu’il avait écrit en 2006 pour sa mère, massacrée en Haïti. Un écrin vidéo en sublime la poésie.
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La Terrassepar Eric DemeySublimé par la mise en scène
Ce texte qui conjugue métaphores et images mentales, le poétique et le concret, parle de toutes les relations mère-enfant, au-delà des particularismes.
Scenewebpar Christophe Candoni« Face à la mère », une belle traversée par-delà la mort
Dans un grand et intense dénuement, Jean-René Lemoine joue son propre texte mis en scène par Guy Cassiers. Sensible et solennel, son long monologue se fait entendre comme un chant de deuil et d’amour très émouvant.
Balaganpar Jean-Pierre ThibaudatJean-René Lemoine face à Guy Cassiers
Jean-René Lemoine a écrit « Face à la mère », texte aussi magnifique que bouleversant, texte qu’il avait déjà joué et monté. Il y revient sous la direction de Guy Cassiers et son équipe. Éblouissant à en trembler.
Calendrier des représentations
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Archives des représentations
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