
A la barre
Où en est la Justice avec les violences faites au femmes ?
Dans À la barre, le théâtre s’invite dans un vrai tribunal. Pas pour faire un procès, mais au contraire pour regarder vers l’extérieur : tenter d’éclairer la société d’aujourd’hui sur cette question fondamentale de l’égalité femmes/hommes. En s’emparant des codes des tribunaux (plaidoyé, réquisitoire, opposition d’arguments) avec la force des argumentations et du langage, sans effets ni costume et avec le public pour témoin, le spectacle interroge le présent à la lumière des luttes passées, tentant d’aller au bout des contradictions vécues parfois dans les situations les plus banales, les plus intimes.
Qu’attendre exactement de la justice et de ses procédures ? Existe-t-il un tribunal idéal où tout se répare ? Est-ce la justice qui transforme la société, ou bien l’inverse ? Sans jouer aux spécialistes de l’Histoire ou du droit, cette proposition théâtrale souligne l’importance d’interroger nos représentations et nos imaginaires, comme l’urgence de les bousculer.
Contexte
Lorsque le projet À La Barre a commencé il y a deux ans, pour une création le 25 mai 2024 à la cour d’assise de Rouen, puis des représentations prévues au tribunal d’Avignon pour le festival l’année suivante, le procès de la-dite « affaire Pelicot » ou « des viols de Mazan » n’avait pas commencé ni eu encore, à fortiori, le retentissement national et international qu’il connaît aujourd’hui.
Ce procès – tant par l’ampleur des crimes que par le courage de Gisèle Pelicot durant les audiences et en dehors – est d’ores et déjà considéré comme historique. On parla ainsi de « crimes de masse » à l’encontre de Madame Pelicot, sédatée près de 200 fois pendant 9 ans par son mari pour être violée par lui et 70 autres hommes. Beaucoup de littérature, d’essais, ont été produits et le seront encore, attestant qu’il y aura certainement, dans l’histoire des luttes féministes et du droit pénal un avant et un après « affaire Pelicot ».
À ce jour, le procès suit son cours puisqu’un second en appel se tiendra à la cour d’assises de Nîmes le 6 octobre 2025, devant un jury populaire, 7 accusés parmi les 51 ayant fait appel.
Bien conscient·es de la gravité des faits, de l’ampleur incommensurable de leur retentissement, il nous semble nécessaire plus que jamais d’accomplir notre projet initial – nous sommes en contact avec le tribunal d’Avignon depuis deux ans – afin qu’une forme théâtrale s’invite sur ces lieux pendant le festival. À La Barre s’inscrit dans la filiation d’un théâtre populaire, du théâtre forum (puisqu’un débat a lieu après chaque représentation), un théâtre du réel, simple dans sa forme, écrit dans une volonté de répondre à une urgence sociale et citoyenne. Il n’est donc pas question de l’affaire des viols de Mazan dans À La Barre qui fut créé quelques mois avant le procès, mais l’urgence du sujet traité – le traitement des violences sexistes et sexuelles par la juridiction française aujourd’hui – vient forcément lui faire écho, dans un paradoxal mouvement de rétrospective anticipée. L’accueil de cette proposition fait par l’ensemble des services du tribunal après ces audiences vécues plusieurs mois fin 2024 tend à nous convaincre qu’un geste de création citoyenne, ouverte au débat, rassembleuse et contradictoire, doit pouvoir exister après l’horreur.
Ronan Chéneau, auteur
Steeve Brunet, metteur en scène
Avril 2024
Note d'intention par Steeve Brunet
Où en est la justice avec les violences faites aux femmes ? Comment considère-t-elle le patriarcat et les situations d’emprises, de domination au quotidien que nombre de féministes reconnaissent comme ses symptômes ? Comment magistrats, avocats, parviennent à faire parler le droit, celui des victimes et des accusé·es, quand les faits relèvent des liens humains les plus proches, dans l’intimité du couple, dans la proximité des lieux de
travail, des lieux publics ? Sachant que la majorité écrasante (presque l’unanimité) des agresseurs et des criminels appartient à leur genre, où en sont les hommes dans ces combats ?
Dans À La Barre le théâtre s’invite au tribunal. Que le spectacle joue dans une Cour véritable ou bien reconstituée, il s’approprie les codes de la justice et de ses audiences au quotidien.
Inspirés d’affaires réelles, les échanges entre magistrat·es, accusé·es, victimes et avocat·es, tentent une double élucidation : la complexité des métiers de justice et leur vocation se heurtent à celles des situations exposées, des faits allégués, des actes et des souffrances cachées, passées, bien souvent difficiles à établir, à exprimer.
En face, c’est une justice également en souffrance, qui éprouve les limites du judiciaire mais aussi économiques et humaines quand tant d’écoute, de soin et de réparation sont attendus. Du temps où seules les Cours d’Assises jugeaient les crimes, 80 % d’entre eux étaient des affaires de viols.
Les juges essaient d’éclaircir les faits, de comprendre, les procureurs et procureures d’appeler au plus strict respect du droit dans un contexte où les affaires s’accumulent et où la justice, mal connue du grand public, semble intimidante et obscure, comme ses procédures, ses principes, son histoire. Quand nul pourtant n’est censé ignorer la loi...
La justice peut-elle réparer les êtres ? La société ? C’est sans doute trop demander aux hommes et nombreuses femmes qui la portent (elles constituent 71% des juges), puisque c’est la société une fois brisée, en échec, qui se retrouve dans ses audiences, auxquelles toute personne peut se rendre, en général. C’est en partie ce que ce spectacle tente : reconstituer, en éclairant ses rôles, ses codes et son histoire, le travail difficile des magistrats et des avocats. Du harcèlement au travail, des agressions au sein d’un couple, aux violences, au viol, si la justice ne peut prétendre réparer la société, elle l’interroge, la confronte à elle-même.
Aux individus ensuite de faire le reste, aux hommes notamment de se responsabiliser, comme tout individu détenteur de pouvoir, de la puissance physique, économique et sociale, de se responsabiliser d’autant plus dans son lien à autrui, au quotidien.
Il ne s’agit donc en aucun cas de faire le procès de la justice, au contraire, mais de regarder vers l’extérieur : éclairer la société d’aujourd’hui sur cette question fondamentale de l’égalité femmes/hommes (on voudrait dire : de l’égalité tout court) en nous emparant des codes des tribunaux (plaidoyer, réquisitoire, contradictoire ) sans effets ni autres costumes que les robes des magistrat·es et des avocat·es que les artistes endossent à tour de rôle, le public pour témoin, à savoir le peuple, au nom duquel les verdicts sont rendus.
Sans être des spécialistes de l’histoire ni du droit, souhaitant nous adresser à un large public, aux jeunes comme aux moins jeunes, nous mesurerons en tant qu’artistes l’importance d’interroger nos représentations et nos imaginaires, comme l’urgence de les bousculer.
Notes de mise en scène
À travers un objet de fiction, plusieurs affaires sont présentées sans lien direct entre elles, hormis le droit des femmes, l’équité homme-femme et les violences intrafamiliales et professionnelles. Le public n’assiste pas à un procès unique ancré dans la réalité, mais devient témoin d’une parole universelle. Ce spectacle ne vise pas à poser des jugements fictifs, mais plutôt à comprendre le rôle des acteurs et actrices du tribunal et le fonctionnement de ce lieu complexe. Au-delà du divertissement, il s’agit d’un outil pédagogique et citoyen.
LE DISPOSITIF
Les cinq comédiennes et comédiens endossent successivement les rôles de juge, de greffier, d’avocat·e général, d’avocat·e de la partie civile ou de la défense, ainsi que des victimes ou accusé·es cité·es à la barre. Le public plonge dans une expérience immersive au cœur d’un tribunal. À l’issue de la représentation, il est invité à participer à un débat qui prolonge la réflexion, en présence d’avocat·es et de membres d’associations de défense des droits des femmes. L’objectif est de transformer la sensibilisation et la réflexion suscitées par le spectacle en engagement concret.
Critiques
Actu-Juridique.frpar Emmanuelle Saulnier-CassiaLe théâtre des violences sexuelles devant la justice
Qu’attendre exactement de la justice et de ses procédures, notamment en matière d’affaires familiales ? Existe-t-il un tribunal idéal où tout se répare, après que l’irréparable a été commis ?
Cult. newspar Julien CoquetJuger la violence des hommes
Il est plus qu’intéressant de constater à quel point le théâtre se saisit actuellement de la question judiciaire.
L'Œil d'Olivierpar Olivier Frégaville-Gratian d’Amore"À la barre" : La justice pour violences sexuelles à cœur
En s’emparant du texte de Ronan Chéneau, Steeve Brunet propose un spectacle immersif dans une salle du Tribunal judiciaire d’Avignon. Il donne à voir de près les rouages de la justice.
La Provencepar Lydie Raez"À la barre", le procès primordial des violences faites aux femmes
dans une salle d'audience...
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La Terrassepar Mathieu DochtermannQue faire face à l’insupportable litanie des crimes perpétrés ?
« À la barre » de Ronan Chéneau dans la mise en scène de Steeve Brunet, une mise en jeu dynamique et intelligente de la justice face aux victimes de violences sexistes et sexuelles.
France Infopar Mathilde RiouViolences faites aux femmes
"À la barre" pour traiter des violences conjugales et sexuelles. Le spectateur est plongé au cœur de plusieurs procès. C’est aussi une véritable immersion dans le monde de la justice qui doit faire face à de nombreuses plaintes.
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