
Au nom du ciel
Le 30 mai 2020, Iyad Al-Hallaq, un jeune Palestinien autiste de 32 ans, est tué de plusieurs balles par un garde-frontières israélien, dans la vieille ville de Jérusalem, alors qu’il se rendait en compagnie de son professeur dans un centre spécialisé où il travaillait. Une fois encore, cette terre sainte, cette terre fertile, cette terre devenue maudite, est plongée dans l’horreur et le désarroi.
Pourtant, au-dessus du bruit des balles qui fusent, des cris d’effroi, des chagrins déchirants, nous pouvons entendre dans le ciel de Jérusalem les oiseaux qui chantent, qui observent, désemparés, l’interminable conflit entre Palestiniens et Israéliens. C’est alors loin de la terre, dans le ciel immaculé de la violence des Hommes, que trois oiseaux – interprétés par des acteurs suspendus, dans un tableau théâtral plein de grâce – vont enquêter sur cet homicide et tenter de mieux comprendre cette tragédie en explorant la complexité des événements qui s’ancrent dans ce paradis perdu.
Avec Au nom du ciel, le metteur en scène israélien Yuval Rozman, exilé en France, nous conte une fable contemporaine, qui use du symbolisme des oiseaux pour esquisser de nouveaux chemins à la recherche d’une beauté enfouie sous la guerre.
Note d’intention par Yuval Rozman
Au nom du ciel est le quatrième opus de ce que je nomme Quadrilogie de ma Terre, cycle de travail principalement axé sur le conflit israélo-palestinien, qui questionne mon identité et le rapport à mon pays, Israël. Elle est constituée d’un ensemble de quatre objets, quatre éléments, quatre pièces séparées imaginées pour la scène, et liées entre elles par l’analogie plus ou moins étroite du rapport avec mon pays. Le conflit israélo-palestinien désigne le conflit qui oppose Palestiniens et Israéliens au Proche-Orient. Il oppose deux nationalismes, le nationalisme sioniste et le nationalisme arabe palestinien, qui veulent ériger un État sur le même territoire.
Parler oiseaux comprendre l’homme
Avec Au nom du ciel, je souhaite prendre du recul qui me permettra de jouer entre le contenu et la forme. Se métamorphoser et s’aventurer avec une liberté presque « interdite », poser les questions à distance, à travers la communauté de colons, et la vie quotidienne complexe entre Jérusalem est/ouest et pour approfondir un regard ténébreux, passionnément débridé sur le conflit, par le prisme du territorialisme. Mais pour le dernier volet de la quadrilogie, ça ne sera ni le point de vue d’un israélien ni d’un palestinien, ni même celui d’un être humain, ça sera depuis là-haut, depuis le ciel, le regard d’une bande d’oiseaux qui se questionnent sur pourquoi en bas ils s’entretuent.
Le point de vue de ceux qui ne touchent pas la terre. Cette Terre Sainte. Fertile. Maudite.
Le point de vue de ceux qui vivent là-bas, mais sur qui le mur de séparation et les checkpoints n’ont aucun impact sur leur vie, sur leur liberté de mouvement, leur liberté de circulation.
Le point de vue de ceux qui peuvent voler des deux côtés, chez les colons à Hébron et chez les Palestiniens à Jéricho, ceux qui brisent leurs cages, et ceux qui chantent dans les oliviers.
Le point de vue de ceux pour qui l’argent n’est pas un obstacle.
Ça doit déjà être assez difficile de se balader sans ailes, pourquoi rajouter des difficultés avec tous ces checkpoints, un mur en béton et des barbelés, trillent-ils. D’où vient l’argent pour la construction des colonies en Cisjordanie ?
Alors que nous, il ne nous reste plus de place, plus d’arbres pour faire un nid. Qui bénéficie économiquement de la perpétuation de ce conflit pendant que nous on est au bord de l’extinction ? Qu’est-ce qui nous a échappé tout ce temps ? Qu’est-ce qui serait plus fort que la religion en Terre Sainte ?
Ce sont ces questions-là qui vont traverser les oiseaux dans cette fable. Évidemment, ce geste fantastique déplace le rapport à la réalité hostile de ce conflit interminable. Même si en ce moment, on pense qu’elle n’est plus là, même si on ne la voit plus, j’ai envie de trouver de la beauté chez moi. De la chercher, de la faire briller. Grâce aux oiseaux - qui ne sont pas dans le décor, ils sont vraiment là - j’ai envie de contourner le monde politique et emmener le public en voyage depuis le ciel de la Cisjordanie, en volant à travers la beauté du pays des colombes et des moustiques, faire sentir les odeurs qui s’évaporent, les épices et le parfum des fleurs mélangés à l’odeur métallique de la poudre à fusil, les oliviers, deux peuples, des amoureux, la bonne odeur de câpres, et le vent qui joue avec le keffieh, l’agite comme un voile et le déroule vers l’arrière, vers l’avant.
Être, tomber, prendre le risque et s’envoler. La beauté d’un vol d’oiseau, j’ai envie de dire que ce sera ma beauté, la nôtre.
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